Questions à… Ioannis Xenarios

Il s'agit de notre deuxième inter­view et après Jean-Fran­çois Gibrat nous avons déci­dé d'aller nous pro­me­ner un peu en Suisse. Nous y avons ren­con­tré Ioan­nis Xena­rios, direc­teur des groupes Vital-IT et Swiss-Prot du SIB : ins­ti­tut Suisse de Bio­in­for­ma­tique, mais aus­si pro­fes­seur à l'Uni­ver­si­té de Lau­sanne, et nous en avons pro­fi­té pour lui poser quelques ques­tions.

Ioannis Xenarios
Ioan­nis Xena­rios

Nahoy et Yoann M. (Ys) : Bon­jour Ioan­nis. Nous te remer­cions d’avoir accep­té cet entre­tien pour le blog Bioin​fo​-fr​.net. Pour com­men­cer, peux-tu nous par­ler de ta for­ma­tion ini­tiale et de ton par­cours pro­fes­sion­nel ?

Ioan­nis Xena­rios (IX) : Mon back­ground scien­ti­fique est la bio­lo­gie avec une spé­cia­li­sa­tion en bio­lo­gie molé­cu­laire et un mas­ter (cela s'appelait cer­ti­fi­cat en 1994) en ana­lyse de séquences sur une méthode de détec­tion de domaines appe­lée PROFILE/​PROSITE. Cela a été ma pre­mière ren­contre avec la bio­in­for­ma­tique.

Par la suite j'ai fait un doc­to­rat en immu­no­lo­gie et rétro­vi­ro­lo­gie à l'Ins­ti­tut Lud­wig de Recherche sur le Can­cer et à l'Institut de Bio­chi­mie de Lau­sanne. Je tra­vaillais sur des sou­ris trans­gé­niques et un virus qui s'appelle MMTV et son super-anti­gène (SAg), donc "hard­core bio­lo­gy".

J'enseignais à cette époque l'utilisation du por­tail Expa­sy avec Manuel Peitsch, donc durant ma thèse je m'amusais beau­coup plus avec la bio­in­for­ma­tique émer­gente plu­tôt qu'avec les mini­preps d'ADN.

À la fin de ma thèse j'avais deux choix : soit conti­nuer en immu­no­lo­gie que je trouvais/​trouve tou­jours fas­ci­nant car c'est tel­le­ment com­pli­qué : même si on pense avoir com­pris quelque chose dans un méca­nisme d'infection on se retrouve coin­cé par tou­jours plus d'inconnues (la bio­chi­mie par contre avait quelque chose de plus ras­su­rant…) ; ou soit faire de la bio­in­for­ma­tique. J'ai donc pris "mes clics et mes clacs" et ai fait ma tour­née pré­si­den­tielle au USA comme tout bon étu­diant suisse à qui on dit "va faire un tour pen­dant quelques années cela te for­me­ra l'esprit".

J'ai obte­nu plu­sieurs inter­views pour dif­fé­rents postes, mais le pre­mier m'a le plus mar­qué. Arri­vé à Los Angeles j'ai ren­con­tré mon men­tor Roland Lue­thy qui m'a appris toutes les méthodes de PROFILE, qui tra­vaillait à l'époque chez Amgen. Celui-ci m'a conseillé de tra­vailler chez David Eisen­berg à UCLA. J'avais déjà envi­sa­gé d'aller dans ce labo­ra­toire et cela m'a per­mis d'avoir un ren­dez-vous avec lui. Et là, en 30 secondes j'ai su que je vou­lais faire mon Post­Doc à UCLA ! Le plus amu­sant c'est que j'avais éga­le­ment des ren­dez-vous à Seat­tle et Bos­ton mais aucun d'entre eux ne m'intéressait vrai­ment… même dans le pres­ti­gieux MIT et Har­vard Medi­cal School et même UCSF… j'avais dans la tête "I love L.A." et c'est à L.A. que je suis donc par­ti !

À par­tir de là, c'est 3 années géniales avec dif­fé­rents com­pères : Edward Mar­cotte (main­te­nant pro­fes­seur à UT Aus­tin), Mat­teo Pel­le­gri­ni (pro­fes­seur à UCLA), Tom Grae­ber (éga­le­ment pro­fes­seur à UCLA). Un sacré trio je dois dire. Un moment où tout était pos­sible. Et puis à ce moment je fai­sais quelque chose qui me pour­sui­vra toute ma vie : une base de don­née - Data­base of Inter­ac­ting Pro­tein — une des pre­mières bases de don­nées à cap­tu­rer les pre­miers "large-scale Pro­tein-Pro­tein Inter­ac­tion screen". En fait, der­rière la base de don­nées je fai­sais de la recherche et déve­lop­pais avec Edward dif­fé­rentes méthodes. Cela a été la période la plus pro­li­fique en publi­ca­tions mais aus­si en bonnes idées.

Par la suite on m'a pro­po­sé de res­ter à UCLA et ouvert une place de pro­fes­seur en géné­tique humaine dans le dépar­te­ment de Lee­na Pel­to­nen. Cela aurait été super car là-bas mon pro­jet aurait été de map­per les traits géné­tiques sur des path­ways (ima­gi­nez cela en 1999… pas beau­coup de don­nées à cette époque), et d'étudier les phé­no­mènes d'épistasie… Mais fina­le­ment ma femme vou­lait ren­trer en Suisse et par amour j'ai déci­dé de reve­nir. Mais retrou­ver un poste de pro­fes­seur en Suisse est extrê­me­ment dif­fi­cile. Plu­sieurs essais (même à l'ETHZ où à l'époque le Func­tio­nal Geno­mics Cen­ter com­men­çait à être éta­bli) mais fina­le­ment rien, sauf une pro­po­si­tion d'une com­pa­gnie du bout du lac Léman (lac de Genève) : Merck-Sero­no.

Sero­no fai­sait à cette époque une très bonne impres­sion car consi­dé­rée comme dyna­mique et un de leur pro­jet m'avait vrai­ment tou­ché. J'y suis res­té 8 ans, jusqu'à leur rachat et je me suis envo­lé vers d'autre cieux, en par­ti­cu­lier vers ceux du SIB Swiss Ins­ti­tute of Bio­in­for­ma­tics.

(Ys) : Woh ! Joli par­cours dis donc. Et main­te­nant ? Quelle est ta situa­tion actuelle ?

(IX) : À l'heure actuelle j'ai deux acti­vi­tés com­plé­men­taires : la direc­tion de Swiss-Prot, le groupe et la base de don­nées (vous voyez ça me suit) et Vital-IT, le centre de com­pé­tences en bio­in­for­ma­tique du SIB qui est sup­por­té par les uni­ver­si­tés (UNIL-UNIGE-UNIBE-UNIFR) et l'École Poly­tech­nique Fédé­rale (EPFL) de l'ouest de la Suisse.

(Ys) : Ok. Quelques mots sur Swiss-Prot : com­ment le pro­jet a‑t-il évo­lué au cours de ces der­nières années ?

Logo Swiss-Prot
Logo Swiss-Prot

(IX) : Pour Swiss-Prot c'est assez inté­res­sant car beau­coup de monde, y com­pris moi, pen­saient que cela repo­sait exclu­si­ve­ment sur les épaules d'Amos Bai­roch, le créa­teur de Swiss-Prot. Pour les plus jeunes d'entre vous, vous n'avez pro­ba­ble­ment jamais aper­çu Amos dans le fond d'une salle avec son ordi­na­teur, un écran tout bleu, tapant fré­né­ti­que­ment des­sus. En réa­li­té il s'occupait d'entrer et de modi­fier des entrées Swiss-Prot, y com­pris quand quelqu'un pré­sen­tait de nou­velles décou­vertes sur la fonc­tion d'une nou­velle enzyme à une confé­rence. Swiss-Prot, de ce point de vue là, est un pro­jet vrai­ment exci­tant avec dif­fé­rents par­te­naires impli­quées : SIB, EBI et PIR. C'est la deuxième fois dans l'histoire de la bio­lo­gie où il y a un inté­rêt réel à faire un tra­vail en com­mun (la pre­mière c'est l'INSDC, qui s'appelle aus­si SRA… à cause du NGS qui nous tombe des­sus main­te­nant). Swiss-Prot est main­te­nant à l'intérieur d'un consor­tium for­mé par ces trois enti­tés (États-Unis/­Royaume-Unis/­Suisse) et reçoit des finan­ce­ments depuis prêt de 10 ans du NIH pour main­te­nir et faire évo­luer Swiss-Prot.

Pour ma part, je m'occupe de Swiss-Prot depuis plus de 3 ans et je dois avouer que cela a été un sacré chal­lenge. Sur­tout quand j'ai réa­li­sé que der­rière Amos il y avait une bat­te­rie de bio­cu­ra­teurs, pro­ba­ble­ment la plus grande concen­tra­tion de bio­cu­ra­teurs au monde. Moi qui à l'époque fai­sais de l'annotation d’interactions pro­téine-pro­téine avec des étu­diants (Phd, Mas­ter, etc) je réa­li­sais ce que c'était l'annotation pro­fes­sion­nelle et que cela deman­dait des per­sonnes ayant une longue expé­rience du labo mais aus­si dans l'utilisation et la com­pré­hen­sion des bases de don­nées.

J'ai eu aus­si un avan­tage : nous avons struc­tu­ré Swiss-Prot avec dif­fé­rentes per­sonnes res­pon­sables de la par­tie opé­ra­tion­nelle mais aus­si stra­té­gique : Lydie Bou­gue­le­ret a été et est fon­da­men­tale dans cet aspect et co-dirige avec moi Swiss-Prot. À nous deux, nous pou­vons du coup éva­luer et iden­ti­fier les oppor­tu­ni­tés et les nou­veaux chal­lenges, pas seule­ment finan­ciers mais aus­si scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques dans un monde en per­pé­tuel mou­ve­ment. Nous avons avec nous 3 res­pon­sables de dépar­te­ments :

  • Syl­vain Poux, la che­ville ouvrière de l'annotation manuelle, un tra­vail de béné­dic­tin qui néces­site pré­ci­sion, rigueur mais aus­si abné­ga­tion.
  • Alan Bridge s'occupe de l'augmentation de la valeur des anno­ta­tions. En fait c'est sur­tout iden­ti­fier la façon d'amener plus d'information contex­tuelle, car his­to­ri­que­ment Swiss-Prot a été mis en place pour des pro­téines en "iso­la­tion" même si on savait qu'elles for­maient soit des machines molé­cu­laires, soit des path­ways (pen­dant long­temps ceux-ci nous échap­paient). Alan s’occupe à la fois de valo­ri­ser nos efforts de bio­cu­ra­tion et d’aider d’autre pro­jets qui en béné­fi­cient. Comme par exemple le pro­jet de Gene Onto­lo­gy où envi­ron 30% des entrées pro­viennent de Uni­Prot (depuis 2008). Un autre exemple pre­nant de l'importance c'est la che­mi­cal bio­lo­gy et le lien de plus en plus fort entre la chi­mie et la bio­lo­gie : notam­ment avec le voca­bu­laire contrô­lé, utile pour des res­sources comme ChE­BI (res­source à laquelle nous par­ti­ci­pons). Je pour­rais en citer plein d'autres, y com­pris au niveau des path­ways
  • Nicole Reda­schi met en place des solu­tions logi­cielles qui per­mettent à la fois la bio­cu­ra­tion de la base de don­nées Swiss-Prot, la créa­tion et la main­te­nance du site web Uni­Prot. Mais il y a aus­si les sor­ties de Uni­Prot-KB/S­wiss-Prot. Il faut se dire que chaque mois arrive une nou­velle ver­sion de Uni­Prot où envi­ron 20% des don­nées sont chan­gées. La ten­dance est de pen­ser que notre connais­sance est rela­ti­ve­ment fixée mais en fait ce n'est pas vrai­ment le cas : elle évo­lue chaque jour, mais nos mises à jour sont elles men­suelles. Nicole s'occupe aus­si de pré­pa­rer la suite de l'évolution de Swiss-Prot vers des tech­no­lo­gies d'intégration "séman­tique" de la connais­sance même s'il y a eu beau­coup de choix (sur­tout du côté des gens qui aiment s'amuser à faire de nou­veaux stan­dards). Les approches de type RDF semble pou­voir per­mettre de struc­tu­rer notre connais­sance et de pou­voir la mélan­ger entre dif­fé­rents domaines de recherche. Le seul pro­blème c'est que beau­coup de monde aime la tech­no­lo­gie plu­tôt que le conte­nu…

Swiss-Prot c'est du conte­nu de la connais­sance à la sueur des bio­cu­ra­teurs, un peu comme l'image de Sisyphe, jamais ter­mi­né.

(Ys) : Inté­res­sant ! Pour­rais-tu nous en dire plus sur Vital-IT ?

Logos SIB et Vital-IT
Logos SIB et Vital-IT

(IX) : Vital-IT est plus simple et plus com­plexe à la fois. Il est plus simple car sa défi­ni­tion pre­mière est d'avoir des machines de cal­culs et du sto­ckage ain­si que des experts en opti­mi­sa­tion de logi­ciels pou­vant aider pour cer­tains pro­jets en bio­lo­gie.

Cela s'est trans­for­mé depuis que j'ai repris les rênes de Vital-IT en 2008 en un centre de com­pé­tence mul­ti-face­ted : à la fois infra­struc­ture, com­pé­tence et sup­port aux pro­jets ain­si qu'une petite frac­tion de recherche fon­da­men­tale. Vital-IT a été créé il y a main­te­nant 10 ans. Notre tra­vail sup­porte envi­ron 150 pro­jets en moyenne qui vont de quelques jours à plu­sieurs années et notre nombre d'utilisateurs a été mul­ti­plié par 10 durant les 5 der­nières années. Les pla­te­formes dis­tri­buées dans la par­tie ouest de la suisse béné­fi­cient en pre­mier de nos acti­vi­tés et vont de la géno­mique à la pro­téo­mique en pas­sant par l'imagerie (scree­ning and fMRI). De façon inté­res­sante, on a de plus en plus de pro­jets qui néces­sitent de pou­voir "tra­ver­ser" dif­fé­rentes tech­no­lo­gies et Vital-IT est un moyen idéal pour cela.

La deuxième par­tie de nos acti­vi­tés est diri­gée vers nos uti­li­sa­teurs. Cer­tains ont l'habitude d'uti­li­ser des clus­ters et d'autres c'est un peu "je passe de mon Ubun­tu à une Fer­ra­ri"… Pas tou­jours facile à gérer, mais c'est fun (sauf quand l'un d'eux nous crée un fichier de 2TB en 30 minutes à cause d'une mau­vaise boucle dans son code python…)

Pour ce qui est de l'accès à Vital-IT, il est gra­tuit pour tous les groupes qui financent l'infrastructure : l'EPFL, l'UNIL, l'UNIGE, l'UNIFR, l'UNIBE. Néan­moins ceci est dif­fi­cile à main­te­nir car de plus en plus de don­nées sont pro­duites. Une de nos approches est taxer la "consom­ma­tion bio­in­for­ma­tique", un peu comme pour les par­ties expé­ri­men­tales de labo­ra­toire : on ne fait pas d'histologie sans anticorps…On ne fait pas de bio­in­for­ma­tique sans res­source com­pu­ta­tion­nelle de cal­cul et de sto­ckage.

(Ys) : Ok, c'est assez clair mer­ci. Tiens, peut-on te deman­der com­ment vois-tu l'évolution de la bio­in­for­ma­tique au cours des pro­chaines années ?

(IX) : La bio­in­for­ma­tique est pas­sée d'un état de recherche fon­da­men­tale à une par­tie inté­grante de la vie de beau­coup de labo­ra­toires. Les bio­in­for­ma­ti­ciens inté­grés au labo­ra­toire, "e‑bioinformaticiens" comme j'aime les appe­ler (e pour embed­ded) sont main­te­nant de plus en plus néces­saires. Le mélange de bio­in­for­ma­tique de recherche à de la bio­in­for­ma­tique cli­nique et trans­la­tion­nelle est défi­ni­ti­ve­ment une ten­dance mais aus­si une réa­li­té. L'importance de la bio­in­for­ma­tique ne va pas décroître mais plu­tôt aug­men­ter car elle va deve­nir une par­tie inté­grante de la recherche et du déve­lop­pe­ment cli­nique.

(Ys) : D'accord. Nous fini­rons sur ça. Mer­ci encore une fois de t'être prê­té au jeu, pour le temps que tu nous as accor­dé et pour t'être livré à nous si sim­ple­ment. En espé­rant que les lec­teurs auront pris autant de plai­sir à te lire que nous à t'interviewer ! Bonne conti­nua­tion dans tes pro­jets et "tout d'bon" comme on dit ici 😉

(IX): Mer­ci à vous les bio­in­for­ma­ti­ciens fabu­leux 😀

 

Cet article a été écrit col­la­bo­ra­ti­ve­ment par nahoy et Yoann M.

Les auteurs tiennent à remer­cier éga­le­ment Clem_​ et Nico M. et Guillaume C. pour leur relec­ture.



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Commentaires

2 réponses à “Questions à… Ioannis Xenarios”

  1. Mer­ci a l'equipe pour cette nou­velle inter­view.

    Mais vous etes passes a cote d'une ques­tion impor­tante :
    Que fait cette board North en pre­mier plan ??

    😉

  2. Cool, j'attendais cette inter­view 🙂
    J'en apprend un peu plus sur mon men­tor.
    Mer­ci les Yo. pour cet article.
    Ioan­nis est vrai­ment génial et tou­jours plein de bonnes idées 😉

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