Questions à… Marie Beurton Aimar

Retrou­vez ici la retrans­crip­tion de la pre­mière Table Ouverte en  BIon­for­ma­tique (TOBi) orga­ni­sée à Lyon le 16 mars 2017

Marie Beurton Aimar
Marie Beur­ton Aimar

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p style="text-align : left;">Clé­ment DELESTRE (CD) : Mer­ci d'être pré­sente pour ce pre­mier TOBi à Lyon, est-ce que tu peux nous pré­sen­ter ta for­ma­tion, ton par­cours, etc ?

Marie Beur­ton-Aimar (MBA) : On va rire là… Alors moi je suis infor­ma­ti­cienne, un peu aty­pique parce que je suis allée à l'université tard, j'ai fait ma thèse tard ; j'ai pas­sé ma thèse en 2000 donc il n'y a pas très long­temps, même si pour vous ça  parait peut-être loin… J'ai même tra­vaillé dans le pri­vé avant. J'ai déci­dé de pas­ser côté recherche et mon sujet de thèse por­tait sur l'aide à la déci­sion médi­cale.

Ma spé­cia­li­té c'est le génie logi­ciel : modé­li­sa­tion objet etc. [NDLR : MBA s'adresse à l'audience pré­sente lors de l’événement] Ceux qui sont en mas­ter vous allez décou­vrir que pour avoir des bourses de thèse il faut rem­plir des tonnes de cri­tères que per­son­nel­le­ment je n'avais aucune chance de rem­plir, par consé­quent j'étais ingé­nieur sys­tème dans le labo pour finan­cer ma thèse. J'étais dans une équipe de bio­stats, donc je fai­sais des ana­lyses d'épidémiologie géné­tique pour eux.

C'était du hasard, eux codaient en For­tran, ils étaient cher­cheurs de for­ma­tion, en maths appli­quées. C'était très inté­res­sant, on tra­vaillait sur le lupus avec des vraies don­nées qui arri­vaient de Suède et on devait ana­ly­ser les allèles, on avait éga­le­ment des don­nées sur le géno­type et le phé­no­type. L'équipe vou­lait savoir s'il y avait des liai­sons entre les allèles et le phé­no­type et donc ils sont venus me voir en disant "En dehors de nous ins­tal­ler G++, LaTeX etc. est-ce que tu pour­rais nous coder un par­cours d'arbre fami­lial ? — Oui ça devrait être pos­sible !" J'ai com­men­cé la bioin­fo comme ça !

Puis quand j'ai cher­ché un poste de Maître de Confé­rences, il y en avait un en modé­li­sa­tion cel­lu­laire sur la mito­chon­drie à l'échelle du méta­bo­lisme. Le pro­fil était bioin­fo pour aider à la modé­li­sa­tion mathé­ma­tique. Le res­pon­sable d'équipe avait une vision clas­sique : Équa­tion dif­fé­ren­tielle, Michae­lis-Men­ten etc. Le pro­blème c'est que les vitesses sont loin d'être toutes connues et celles qui le sont, sont dans des condi­tions expé­ri­men­tales par­fois incom­pa­tibles pour recons­truire un réseau… Donc on a bas­cu­lé assez vite sur la modé­li­sa­tion de réseaux méta­bo­liques avec un outil qui à l'époque était un petit peu exo­tique et qui main­te­nant com­mence à se répandre : les modes élé­men­taires.

Réseau métabolique représenté comme une carte de métro
Réseau méta­bo­lique repré­sen­té comme une carte de métro (source : Cha­ka­zul, CC-BY-SA)

 

Ça consiste en de l'analyse de graphes. En fait, il s'agit de cher­cher les che­mins uniques et mini­maux dans le graphe méta­bo­lique qui res­pectent l'état stable. C'est une méthode plu­tôt sym­pa sauf que ça pro­duit des cen­taines, voir des mil­liers de réponses, ce qui pose beau­coup de pro­blèmes pour l'étape d'analyse du côté des bio­lo­gistes. Notre objec­tif était donc de faire des outils qui per­met­taient d’interroger ces solu­tions, puis les ana­ly­ser auto­ma­ti­que­ment parce que ce n'est pas pos­sible à la main (ou très dou­lou­reux).

Ça c'est une par­tie de mon acti­vi­té, que l'on a conti­nuée avec les mini­mal cut set. Ce sont en quelque sorte la suite des modes élé­men­taires. Le cal­cul de ces der­niers est éga­le­ment une opé­ra­tion sur un graphe, comme pour les modes élé­men­taires, mais c'est une ana­lyse de réseau sta­tique ; c'est-à-dire que l'on oublie les vitesses. C'est le cal­cul dual des modes élé­men­taires, au lieu de cher­cher les che­mins réa­li­sables dans le graphe (du réseau méta­bo­lique) on cherche les réac­tions qui, si elles sont inac­ti­vées, coupent le flux dans le réseau.

Une autre par­tie de mon acti­vi­té est la simu­la­tion avec des sys­tèmes mul­ti-agents ; modèle indi­vi­du cen­tré, modèle proie-pré­da­teur. Les modèles proie-pré­da­teur sont très connus en théo­rie pro­ba­bi­liste, mais il y a une ver­sion "infor­ma­tique" qui s'appelle les sys­tèmes mul­ti-agents et qui tra­vaille sur un modèle un peu dif­fé­rent. On est entre autres capable de prendre en compte un envi­ron­ne­ment 3D.

Dans ce domaine on a réa­li­sé la modé­li­sa­tion de com­plexes enzy­ma­tiques. Plus pré­ci­sé­ment un cou­plage entre la struc­ture de la dyna­mique molé­cu­laire et l'échelle méta­bo­lique. On cherche à être capable de faire bou­ger la struc­ture sui­vant les lois de la dyna­mique molé­cu­laire et en même temps atteindre les échelles de temps qui étaient suf­fi­santes pour coder les réac­tions. On tra­vaille sur des réac­tions red/​ox, dans le com­plexe 3 de la chaîne res­pi­ra­toire.

Sinon on fait d'autres choses dans notre équipe avec les sys­tèmes mul­ti-agents comme de la seg­men­ta­tion d'image (j'ai aus­si une acti­vi­té en trai­te­ment d'images). On fait de la seg­men­ta­tion d'image avec des sys­tèmes mul­ti-agents, basée sur les arai­gnées sociales ou sur les four­mis. On a trai­té des IRM de cer­veaux il y a quelques années et main­te­nant on fait de la mor­pho­mé­trie sur des images 2D pour essayer de faire de l'estimation auto­ma­tique de land­mark sur des images bio­lo­giques. Cette acti­vi­té est en col­la­bo­ra­tion avec l'INRA de Rennes, avec des gens qui tra­vaillent en éco­lo­gie, sur la pré­ser­va­tion des cultures, par exemple, et qui ana­lysent les popu­la­tions d'insectes (ou de carabes … qui ne sont pas des insectes !). Les nou­velles études devraient aus­si por­ter sur les taches de mala­die sur des tiges ou sur des feuilles… Pour ces tra­vaux on uti­lise plu­tôt des méthodes clas­siques de trai­te­ment d'images que des sys­tèmes mul­ti-agents.

Capture écran imageJ
Cap­ture d'écran d'ImageJ (source : wiki­me­dia, domaine public)

 

Actuel­le­ment, il y a du maté­riel d'acquisition d'images en bio­lo­gie avec des capa­ci­tés et des per­for­mances hal­lu­ci­nantes et il y a très peu d'outils pour les ana­ly­ser… Enfin si, il y a ima­geJ un bon outil grand public mais pas vrai­ment spé­cia­li­sé pour l'imagerie bio­lo­gique (rires). C'est mieux que se conten­ter de regar­der les images à l'écran, je suis d'accord et il y a quelques années  c'était juste "je regarde mes images à l'écran". Mais c'est vrai que les construc­teurs en méde­cine (IRM, scan­ner, tomo­gra­phie) peuvent être un peu inté­res­sés pour par­ti­ci­per à l'élaboration des softs d'analyses, mais en bio­lo­gie pour l'instant ça n’intéresse pas grand monde. Les bio­lo­gistes sont très désem­pa­rés par rap­port à tout ça ; les images s'accumulent dans tous les coins et elles sont sous-uti­li­sées car elles sont en grande quan­ti­té et les trai­ter "à la main" néces­si­te­rait un temps consi­dé­rable.

Par­mi les der­niers pro­jets sur les­quels on tra­vaille au labo, il y a le deep lear­ning, l'apprentissage auto­ma­tique. Un des domaines d'applications est le trai­te­ment d'images, mais il y a aus­si le big data. Donc poten­tiel­le­ment en bio on pour­rait l'adapter à peu près par­tout : dès qu'il faut trier des don­nées hété­ro­gènes. Ce sont des outils de data mining [NDLR : s'adressant aux étu­diants] : vous avez inté­rêt à ne pas lou­per les cours de data mining parce que fran­che­ment c'est un truc qui sert, dans qua­si­ment tous les domaines ! [NDLR : Nous conseillons aux étu­diants de ne lou­per aucun cours 🙂 ]

Concer­nant le labo dans lequel je suis [NDLR : le LaBRI ], il s'agit d'un labo­ra­toire d'informatique avec 300 per­sonnes, qua­si­ment que des infor­ma­ti­ciens. L'organisation est dif­fé­rente de ce que l'on voit sou­vent en bio­lo­gie avec des petits labos de 10–20 per­sonnes. Le choix à Bor­deaux a été de faire un seul gros labo d'informatique regrou­pant des gens qui tra­vaillent sur les robots, la pro­gram­ma­tion paral­lèle, la théo­rie du lan­gage, du trai­te­ment d'images, de la visua­li­sa­tion de grands jeux de don­nées, de la bioin­fo… Il y a un peu tout.

CD : Belle pré­sen­ta­tion ! Peux-tu détailler com­ment tu es pas­sée de la modé­li­sa­tion à l'imagerie ?

MBA : Ah ! Alors à l'époque la bioin­fo c'était trans­ver­sal, sur plu­sieurs équipes. C'est d'ailleurs encore sou­vent ça dans les labos de recherche. Quand on a créé cette équipe au LaBRI, c'était majo­ri­tai­re­ment des gens qui fai­saient de la géno­mique et de la com­bi­na­toire. Ce n'étaient abso­lu­ment pas mes sujets de pré­di­lec­tion, je n'y connais abso­lu­ment rien en géno­mique (rires) et le peu que je connaisse en bio­lo­gie c'est de l'ordre du méta­bo­lisme.

Donc le sujet prin­ci­pal était assez éloi­gné de mes propres recherches et j'ai dit "moi je suis bien dans l'équipe ima­ge­rie, c'est une équipe sym­pa, j'y reste !".

Logo du LaBri
Le logo du LaBRI

CD : Qu'est-ce qui t'a pous­sée à par­tir dans la recherche ?

MBA : Je m'ennuyais, je fai­sais de l'informatique de ges­tion j'ai trou­vé ça ennuyeux à mou­rir. C'est très bien payé mais c'est vrai­ment ennuyeux. J’étais dans une socié­té de ser­vices ce qui cor­res­pond à des socié­tés qui louent du per­son­nel pour d'autres entre­prises ayant besoin de pro­gram­meurs. Cette expé­rience a été très for­ma­trice. En plus, j'avais de la chance car on déve­lop­pait à demeure ; je n'allais pas chez le client et j'étais dans une équipe sym­pa puis… J'étais bien rému­né­rée : mon salaire net quand j'étais dans le pri­vé, je l'ai récu­pé­ré en brut 10 ans plus tard en tant que maître de confé­rences. Entre temps j'avais pas­sé ma thèse etc. (rires).

CD : Tout le monde vou­dra aller en SS2I après ça !

MBA : L’informatique est très bien rému­né­rée et le tra­vail ne manque pas : par­tout dans le monde. Au Viet­nam, où je vais ensei­gner, l’informatique a explo­sé notam­ment à Hô Chi Minh, les entre­prises dans ce domaine sont très pré­sentes. Il y a d'autres domaines où on peut éga­le­ment gagner beau­coup d'argent mais seule­ment une mino­ri­té va être embau­chée, ce n'est pas le cas en infor­ma­tique. En conclu­sion, les infor­ma­ti­ciens qui sont à la fac ne les sont pas pour l'argent, ce serait stu­pide ! (rires).

L'informatique marche donc plu­tôt bien et on le voit au tra­vers de notre mas­ter, notam­ment dans celui de Bor­deaux où on essaye d’amener les étu­diants à réa­li­ser leur stage par­tout en France ou à l'étranger.

Julien Fou­ret : C'est dur finan­ciè­re­ment pour un étu­diant de faire un stage loin de son uni­ver­si­té.

MBA : Concer­nant les stages à l’étranger, il est pos­sible que cer­tains pays ne rému­nèrent pas ses propres sta­giaires ; par consé­quent c'est com­pli­qué d'être payé en tant qu'étudiant fran­çais : ça serait inégal entre les locaux qui ne sont pas rému­né­rés et les étran­gers qui le sont. Par consé­quent, il est pos­sible d’avoir des arran­ge­ments tels que le rem­bour­se­ment du billet d’avion ou autres.

À Bor­deaux, toutes les bourses pro­ve­nant de la région, Eras­mus etc. sont ras­sem­blées en un seul tronc com­mun. Et il y a une pro­cé­dure pour tous les étu­diants qui partent en stage à l'étranger. Ils ont une bourse en fonc­tion de la durée et du lieu de leur stage même si par­fois cela devient un peu com­pli­qué car pour cer­taines bourses il faut satis­faire les cri­tères sociaux des parents alors que pour d’autres bourses ce n’est pas le cas. C'est donc une très bonne déci­sion de la part de l'administration de l'université d'avoir créé cette pro­cé­dure qui les regroupe toutes !

JF : Vous avez implé­men­té des pro­grammes pour aider au diag­nos­tic.

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p style="text-align : left;">MBA :  Ma spé­cia­li­té c'est le GL [NDLR : Génie Logi­ciel]. Mais j'ai tra­vaillé dans le diag­nos­tic médi­cal pen­dant ma thèse, sur une solu­tion d'aide à la déci­sion sur le rhu­ma­tisme inflam­ma­toire. Le sujet deman­dait de faire un sys­tème bayé­sien sauf que moi je ne suis pas mathé­ma­ti­cienne et comme mon direc­teur de thèse m'a lais­sée libre de faire ce que je vou­lais, j'ai fait autre chose (rires).
De toute façon, il y a deux situa­tions en thèse : soit on est dans une équipe où l'on tra­vaille sur la suite logique de la pré­cé­dente thèse, tout est cali­bré, l'état de l'art est fait etc. Soit c'est un
sujet nou­veau, open, par­fois peu enca­dré. Ce qui était mon cas, mais c’était un accord dès le début et c'est une situa­tion que j'avais accep­tée, j'avais envi­ron 35 ans donc je me suis dit "ça va je sur­vi­vrai" mais c'est mieux de pré­ve­nir à l'avance quand même. En effet, cette situa­tion ne convient pas tou­jours pour les étu­diants. Je côtoie des thé­sards qui sont dans cette situa­tion-là et c'est dur pour eux.

JF : Les aban­dons de thèse sont une réa­li­té mal­heu­reu­se­ment…

MBA : Je tra­vaille à l'école doc­to­rale d'informatique et dans ce domaine on a du mal à trou­ver des thé­sards car les gens trouvent un emploi faci­le­ment. Par consé­quent ceux qui veulent faire une thèse sont vrai­ment moti­vés.

Au LaBRI, les équipes sont grandes et il y a des bureaux de thé­sards de plu­sieurs équipes mélan­gées, ça fait du bien aux thé­sards de ne pas tou­jours être avec ses enca­drants. Dans notre équipe nous sommes 35 et nous essayons de pro­po­ser aus­si un sui­vi des thé­sards en plus de celui des direc­teurs de thèse,  pas scien­ti­fi­que­ment, il s'agit plu­tôt de sou­tien moral.

Ce n'est pas un sou­tien scien­ti­fique parce que leur sujet ils savent le faire. Le sou­tien c'est plu­tôt de leur rap­pe­ler qu'il y a des confé­rences où ils doivent se rendre ou des papiers à sou­mettre etc. si le direc­teur de thèse ne le fait pas. C'est une charge que j'ai prise dans mon équipe de sou­te­nir des thé­sards. On accueille aus­si des étran­gers et mine de rien c'est com­pli­qué avec l'administration, le CROUS etc. Par­fois en thèse on est fati­gué et on n'est pas prêt à se battre contre la terre entière…
Enfin c'est l'avantage des gros labos : les thé­sards ont de la res­source, ils peuvent trou­ver de l'aide même en dehors de leur équipe, ça peut être plus dif­fi­cile que dans les équipes plus petites.

JF : Une thèse reste très for­ma­teur en termes de rela­tions humaines au tra­vail.

MBA : Ou des­truc­teur (rires). Il fau­drait qu'une thèse reste une expé­rience pro­fes­sion­nelle et n'aille pas jusqu'à la casse. Faire une thèse reste dur psy­cho­lo­gi­que­ment par­lant, notam­ment car on pense sans cesse à son sujet pen­dant 3 ans, à la fin on est géné­ra­le­ment au bout du rou­leau, les fins de thèses sont tou­jours dif­fi­ciles. Mon conseil : faire un sujet qui vous plaît ! De plus, je ne prends en thèse que des étu­diants que j'ai déjà enca­drés en stage, car c'est ardu d'encadrer un étu­diant avec qui on ne s'entend pas, même s'il est très bon : pour les enca­drants comme pour l'étudiant. Il vaut mieux se tes­ter mutuel­le­ment (rires).

Cré­dits : u‑bordeaux (tous droits réser­vés)

CD : Est-ce que tu peux nous par­ler du mas­ter de Bor­deaux ? Qui a chan­gé de pro­gramme il y a peu de temps ?

MBA : Main­te­nant c'est une men­tion, donc un mas­ter en tant que tel, pas une spé­cia­li­té d'un autre par­cours (avant nous étions une spé­cia­li­té du par­cours "Bio­lo­gie, San­té"). À l'heure actuelle sur les diplômes de nos étu­diants, il y a donc écrit "Mas­ter Bio­in­for­ma­tique par­cours Bio­lo­gie com­pu­ta­tion­nelle" ou "par­cours du Génome aux Éco­sys­tèmes".

Pour ce qui est de notre mas­ter, à sa créa­tion il y a une dizaine d'années, le choix a été fait de prendre des étu­diants issus uni­que­ment d'un par­cours bio­lo­gique et de leur faire faire de l'informatique. Et on a tenu le coup, les can­di­dats étaient pré­sents d'année en année et ce pro­fil de mas­ter n'était pas trop répan­du ailleurs. Le nou­veau diplôme conserve cette orien­ta­tion.

On fait un semestre algo­rith­mique, pro­gram­ma­tion en Python, sys­tème d'exploitation, sta­tis­tiques et un petit peu d'initiation à l'imagerie, en vue d'acquérir les bases néces­saires en infor­ma­tique. À par­tir du deuxième semestre, en bio­lo­gie com­pu­ta­tion­nelle, on passe à de l'algorithmique avan­cée, de la pro­gram­ma­tion objet en Java, de l'approche aux bases de don­nées, un peu de Perl, du NGS. Le second par­cours peut prendre des options plus proches de la bio­lo­gie ou par­tir faire le semestre à Bil­bao avec qui nous avons un accord. Et on finit ce semestre avec un pro­jet à 4 ou 5 étu­diants et un client. Ils ont aus­si le choix sur plu­sieurs options, cer­tains vont alors encore plus se plon­ger dans l'informatique avec de la pro­gram­ma­tion en C/​C++ quand d'autres choi­si­ront de per­fec­tion­ner leurs connais­sances en ima­ge­rie par exemple. Arri­vés au troi­sième semestre, ils touchent au data mining, au génie logi­ciel, à la struc­ture 3D des pro­téines, et d'autres options sont à la carte comme la modé­li­sa­tion cel­lu­laire, la pro­gram­ma­tion orien­tée objet (POO), sta­tis­tiques avan­cées en envi­ron­ne­ment ou encore l'étude du génome. Ils ont aus­si un pro­jet de génie logi­ciel encore plus gros qu'en deuxième semestre, à 5 ou 6 étu­diants, c'est sou­vent un bazar pas pos­sible mais c'est vrai­ment for­ma­teur !

Et cette année, on a aus­si com­men­cé à faire des cours inver­sés (un étu­diant pro­pose de faire un cours pour tous les autres sur un thème pré­cis) et c'était super sym­pa. Du coup, on a eu des cours sur SCRUM, sur le modèle objet de R, sur Ruby, sur le for­mat JSON… Enfin que des choses qui ne sont actuel­le­ment pas cou­vertes par nos cours, et il y a vrai­ment eu des trucs chouettes ! On a aus­si fait une ini­tia­tion à la recherche (réa­li­sa­tion d'un article scien­ti­fique).

En fait, on essaye sur­tout de faire faire énor­mé­ment de pro­jets à nos étu­diants et de leur apprendre à tra­vailler en équipe. Un infor­ma­ti­cien ne tra­vaille jamais seul ou très rare­ment. Il faut apprendre à coder à plu­sieurs, rédi­ger les cahiers des charges, dis­cu­ter avec un client sans for­cé­ment tout accep­ter. On apprend à "dea­ler" avec le client, à gérer ses demandes. Il faut que tout le monde finisse content, on a tou­jours en face de soi quelqu'un qui n'est pas infor­ma­ti­cien — et c'est encore plus vrai dans la vie d'un bio­in­for­ma­ti­cien — donc il faut vrai­ment apprendre à gérer ça, à com­mu­ni­quer. Il ne faut pas for­cé­ment tout dire au client, il faut qu'ils aillent le voir, lui demandent ce qu'il veut puis qu'ils repartent, qu'ils dis­cutent entre eux et qu'ils décident ce qu'ils vont faire et ne pas faire. Le client ça ne sera pas quelqu'un auquel ils pour­ront deman­der tous les jours "aujourd'hui je fais quoi ?". C'est un appren­tis­sage de l'autonomie.

Ces 3 semestres servent à sor­tir de l'état d'étudiant. Alors oui, ceux qui iront en thèse conti­nue­ront à être étu­diants, mais il y aura eu un déclic. Ils auront aus­si appris à tra­vailler avec des gens qu'ils n'aiment pas for­cé­ment, car sou­vent en début de mas­ter c'est moi qui consti­tue les groupes de pro­jets, ils doivent tra­vailler en binôme avec quelqu'un qu'ils n'ont pas choi­si et ils n'ont pas le choix ! Parce que la vie pro­fes­sion­nelle c'est aus­si ça, on ne tra­vaille pas tou­jours avec des gens qu'on aime,  ou avec des per­sonnes plus "fortes" que soi sur qui on pour­ra se repo­ser.

CD : Tu penses jus­te­ment que c'est quelque chose qui manque aux autres for­ma­tions de bio-info ce côté pro­jets et pro­gram­ma­tion ?

MBA : D'après les retours que j'ai eus de cher­cheurs tra­vaillant entre autres à Tou­louse, les étu­diants de Bor­deaux sont appré­ciés  parce qu'ils font plus de pro­jets : ils sont habi­tués à tra­vailler à plu­sieurs, à être auto­nome etc. Parce que sou­vent en bio-infor­ma­tique il n'y a per­sonne pour enca­drer tech­ni­que­ment les bioin­fos dans les labos. C'est aus­si pour cela que le mas­ter de Bor­deaux est clai­re­ment un mas­ter de déve­lop­pe­ment logi­ciel.

CD : Est-ce qu'il y a des gens ou des pro­jets qui t'ont mar­qué durant ta car­rière ?

MBA : J'ai beau­coup appré­cié croi­ser Denis Thief­fry au tout début de ma car­rière en bioin­fo, c'est la pre­mière fois que je n'étais pas capable de dire si une per­sonne était infor­ma­ti­cien ou bio­lo­giste en for­ma­tion ini­tiale. Ce fut assez sur­pre­nant.

J'ai eu d'autres anec­dotes assez mar­rantes par exemple à une époque je tra­vaillais sur le méta­bo­lisme car­bo­né de la tomate et je vou­lais faire un pro­jet avec le Viet­nam, j'ai dis­cu­té avec plu­sieurs cher­cheurs à pro­pos du riz. En ren­trant sur Bor­deaux j'explique qu'après avoir fait le réseau méta­bo­lique de la tomate on pour­rait faire celui du riz, mais pour les bio­lo­gistes c'était consi­dé­ré comme très dif­fé­rent. j'ai deman­dé "C'est quoi la dif­fé­rence ? — Ben c'est pas pareil" (rires). Pour un infor­ma­ti­cien que ce soit des choux ou carottes c'est pareil en fait… Un réseau méta­bo­lique c'est un réseau méta­bo­lique et graphe c'est un graphe… c'est anec­do­tique mais ça illustre bien la dif­fé­rence entre les deux cultures : infor­ma­tique et bio­lo­gie, on pour­rait sûre­ment trou­ver un exemple dans l'autre sens de dif­fé­rences en infor­ma­tique qui ne le sont pas en bio­lo­gie.

CD : On m'a dit que t'avais ren­con­tré Richard Stall­man ?

MBA : Oui oui il aime venir à Bor­deaux. C'est quelqu'un de très aty­pique. Une fois je suis allée le cher­cher à la gare, il avait son ordi­na­teur por­table, il monte dans la voi­ture il ne dit pas bon­jour ni rien… bon, il m'a dit bon­jour quand sa com­pi­la­tion s'est ter­mi­née !

Une autre fois on m'avait char­gé d'aller le cher­cher sur le par­king de la fac pour un groupe de tra­vail. Après l'avoir aper­çu, je le fais mon­ter pour l’emmener au labo. Le tra­jet était un peu long je ne savais pas quoi lui dire. Je sors une ques­tion bateau par poli­tesse : "Alors Bor­deaux ça vous plaît ?" il m'a répon­du "Com­ment est-ce que je pour­rais avoir un avis en ayant pas­sé que 3 jours ici ?" Ok, c’était pas faux, il vaut mieux zap­per les poli­tesses, on va se conten­ter de conduire ! (rires)

Mis à part ça il est rigo­lo parce que comme il est sou­vent trai­té de gou­rou, à l'époque il ame­nait une grande tunique et un vieux disque qu'il met­tait en auréole, puis il chan­tait la chan­son des GNU en tour­nant sur la scène. Puisqu'il était accu­sé d'être un gou­rou il jouait le jeu jusqu'au bout ! C'est quelqu'un de très 2éme/​3éme degrés. Cepen­dant il n'a pas le ver­nis édu­ca­tion (rires), il ne s’embarrasse pas de choses futiles… Enfin il a fait des choses colos­sales qua­si­ment tout seul ; la GPL et toutes les briques du sys­tème GNU/​Linux qui ont été ensuite inté­grées par Linus Tor­val.

 

Richard Stallman
Richard Stall­man, le gou­rou par­lant à ses dis­ciples. (Source : NicoBZH, CC-BY-SA)

Les infor­ma­ti­ciens sont sou­vent des ani­maux un peu étranges (rires).

CD : Der­nière ques­tion : Quel est ton avis sur l'évolution de la bio-infor­ma­tique ?

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p style="text-align : left;">MBA : Je suis mal pla­cée pour répondre à cette ques­tion. J'étais à une sou­te­nance de thèse il y a plus d'un an avec un cher­cheur cana­dien ‑bio­lo­giste- qui lui me disait qu'un bio­lo­giste molé­cu­laire qui ne fait pas d'informatique serait mort dans 10 ans. Domi­nique Rolin m'a dit la même chose. Il y aura la même révo­lu­tion en bio­lo­gie
molé­cu­laire que celle qu'il y a eu en bio­chi­mie. C'est deve­nu
incon­tour­nable compte tenu de la quan­ti­té de don­nées pro­duite. Main­te­nant on ne peut plus se pas­ser des ordi­na­teurs. Je peux com­prendre que pour un bio­lo­giste vou­lant à l'origine faire de l'expérimentale, se retrou­ver devant un ordi­na­teur ne soit pas for­cé­ment sym­pa.

En bio-infor­ma­tique, il reste énor­mé­ment à faire : la bio­lo­gie est énorme, l’informatique est énorme et la bio-infor­ma­tique est l'addition des deux. Il y a beau­coup d'offres d'emploi en ce moment c'est vrai­ment l'âge d'or : on a des besoins en bio-infor­ma­tique dans des domaines très variés : dyna­mique molé­cu­laire, ima­ge­rie, les bases de don­nées, la géno­mique, les simu­la­tions, les robots etc. Cha­cun peut trou­ver son bon­heur !

Mer­ci à Kum­qua­tum, Nisaea et Jnsll pour la relec­ture ! Ain­si qu'à Yoann M. et Julie Har­dy pour m'avoir aidé pour la retrans­crip­tion. Enfin mer­ci à Julien Fou­ret pour l'organisation de ce pre­mier TOBi à Lyon et mer­ci éga­le­ment à tous ceux et celles qui étaient présent(e)s !



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