M4rsu : Bonjour Julien (très beau prénom !) et merci d'avoir accepté de te prêter à cet exercice. Pour commencer pourrais-tu te présenter rapidement pour nos lecteurs ?
Julien : Bonjour. En quelques mots, j'ai eu un parcours universitaire assez classique : après deux premières années de médecine, une année de tristesse en équivalence de DEUG de bio, j'ai commencé à faire des choses intéressantes lors d'un second cycle en biochimie (à mon époque on parlait encore de maîtrise) ; j'ai alors eu l'opportunité de faire un peu d'informatique avec mes mentors de Paris 7, et j'en suis naturellement venu à la bio-informatique. S'en est suivie une formidable année de DEA, puis une thèse qui mêlait ma passion pour les macro-molécules biologiques et la programmation.
À l'issue de ma thèse, j'ai été recruté sur un poste d'Ingénieur de Recherche (IR) au sein de la plate-forme RPBS (Ressource Parisienne en Bioinformatique Structurale); poste que j'ai été amené à mettre en pause pour vivre de nouvelles aventures.
M : Tu étais IR dans un labo public que tu as quitté pour créer ta boite, TailorDev. Je suppose que ça n'a pas été forcément facile de quitter ce boulot ? Est-il facile de créer son entreprise en France ? As-tu eu des subventions ? Quel(s) conseil(s) pourrais-tu donner à nos lecteurs qui aimeraient créer leur entreprise mais qui n'osent pas forcément sauter le pas ?
J : Créer une entreprise en France quand on vient du public est un grand défi. Il y a tellement d'aspects différents à maîtriser (juridique, comptable, commercial, etc.) que l'on peut difficilement s'en sortir sans faire des erreurs. Pour limiter les dégâts, il faut beaucoup lire, discuter avec d'autres entrepreneurs et être coaché par un mentor de l'entreprenariat ou être suivi par une structure d'accompagnement de type incubateur.
Cela a été mon cas : le projet TailorDev a été propulsé par l'incubateur BUSI de la région Auvergne, ce qui m'a permis de bénéficier de subventions de la Banque Publique d'Investissement (BPI) et de la région pour préparer au mieux tous les aspects de la création de cette nouvelle entité et le développement de notre produit artich.io.
Yoann : Peux-tu nous décrire le pourquoi de TailorDev et sa structure ? Te limites-tu à la bioinformatique ou as-tu des contrats pour des domaines tout autres ? ET j'en profite pour placer THE question : pourquoi Clermont-Ferrand plutôt que Paris ou Lyon ou une autre grande ville facile d'accès ?
J : Avant de créer TailorDev, j'ai rejoint un ami à la co-gérance d'une agence de communication basée sur Toulouse. Mon objectif était de monter en compétences en développement web et d'avoir une première expérience entrepreneuriale. J'ai donc eu l'occasion de faire du site e‑commerce et de développer des plate-formes de gestion pour de grands organismes publics ou privés.
Suite à diverses sollicitations de mon réseau professionnel, j'ai décidé de me focaliser sur les sciences de la vie, mon domaine de prédilection. À l'heure actuelle, TailorDev fait plus d'informatique pour la biologie que de bio-informatique à proprement parler, en ce sens que pour le moment nous ne développons pas de méthodes ou n'avons pas mis en place de services d'analyse bio-informatique.
Et pourquoi Clermont-Ferrand ? Pour être tout à fait juste, quand ma femme a eu l'occasion de faire un post-doc, nous avons eu le choix entre San Diego (CA) et Clermont-Ferrand, et nous trouvions que la Californie, "C'était un peu sur-fait", Clermont s'est alors imposé comme un choix évident 🙂
M : Du coup, tu es ton propre patron. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur ton quotidien ?
J : En effet, j'ai cette liberté d'être mon propre patron. Mais, avec le recul, pour le moment, j'ai autant de liberté d'action en tant qu'entrepreneur que j'en avais à l'université. J'ai juste plus de casquettes différentes à porter.
C'est une expérience qui vaut la peine d'être vécue si l'on est préparé aux sacrifices personnels que cela implique : être papa, bricoleur du dimanche et entrepreneur n'est pas de tout repos ! Et si en plus on veut avoir une vie sociale… on ne dort pas beaucoup 🙂 Mais tant que l'on est entouré, que la santé et la passion sont là, tout va.
M : TailorDev va sortir artich.io (on prononce artichaut). Si j'ai bien compris c'est une sorte de cahier de labo collaboratif. Tu peux nous en dire plus ? Pourquoi t'être lancé dans ce type d'implémentation/projet ?
J : Personnellement je prononce articcio (à l'italienne, sans les mains), mais après nous laisserons nos utilisateurs décider de la prononciation qui leur sied le mieux.
artich.io est avant tout une plate-forme collaborative à destination des chercheurs (en sciences de la vie). Notre objectif est de fournir un ensemble d'outils qui permettent aux chercheurs de structurer leur recherche, de sécuriser leur production scientifique, de rendre plus confortable les collaborations internationales, et de leur permettre d'ouvrir leurs travaux de recherche à l'ensemble de la société, scientifiques et citoyens. Oui, nous parlons bien ici d'Open Science.
La première brique que nous avons développé est en effet un cahier de laboratoire électronique, car cela nous semblait être un pré-requis commun à tout chercheur quel que soit son domaine d'activité. Au delà de cet aspect marché, la dématérialisation d'un tel document a une forte valeur ajoutée pour un laboratoire de recherche : un relecteur pourra commenter certains paragraphes du cahier de laboratoire électronique pour interagir avec son auteur ; l'auteur sera capable de lier des documents électroniques à une note de son cahier de laboratoire ; l'auteur pourra rechercher très rapidement tous ses travaux en relation avec un mot clé ; etc.
M : Pourquoi ce nom ?
J : Pour deux raisons : la première c'est la "french-touch" que nous voulions donner à la marque, et, la seconde réside dans la métaphore de l'artichaut : chaque feuille représente une application attachée à sa base au cœur de l'artichaut : la plate-forme.
M : Le cahier de labo est un document officiel et son accès plusieurs années (voire dizaines d'années) après sa rédaction doit-être garanti. Comment tailordev garanti cela ?
J : Pour le moment, nous garantissons la pérennité des données sur nos serveurs et la possibilité à nos utilisateurs d’exporter ces données. Chaque institut, université ou entreprise a un process particulier pour gérer ses cahiers de laboratoires majoritairement papier : ils peuvent être pris en charge par des notaires ou des entreprises spécialisées. L’export PDF des cahiers de laboratoires depuis artich.io ne sera donc pas disruptif dans ces cas.
Dans le cas où certains clients souhaiteraient une dématérialisation totale de leur cahier de laboratoires, nous nous sommes déjà rapprochés d’entreprises spécialisées dans le stockage à valeur probatoire. C’est une option que nous pourrons proposer à nos clients dans l’année de la commercialisation.
M : Et du coup, as-tu déjà une idée d'applications qui seront ajoutées à la plateforme après le cahier de laboratoire électronique ?
Oui, nous avons pensé aux montages de projets ANR (ou EU) : les chercheurs pourront rédiger leur dossier de soumission directement sur artich.io. L'objectif est de définir ses work packages (WP), associer des milestones et tâches à chaque WP, et, constituer les équipes du projet en invitant des partenaires à rédiger leur contenu sur le WP dont ils sont responsables. Le dossier pourra ensuite être exporté au bon format pour soumission en réponse à l'appel à projet. Fini les emails avec des pièces jointes à n'en plus finir et le casse tête du versionning de fichiers à l'ancienne !
Ensuite, nous avons dans notre roadmap des applications plus métier autour de la visualisation et l'exploration de la base des connaissances d'un laboratoire. Mais c'est encore un peu prématuré d'en parler.
Y : Pour reprendre artich.io, quel a été le type de veille qui t'a amené à te lancer là dedans ?
J : Nous nous sommes lancés dans l'aventure à partir du moment, où nous n'avons rien trouvé en ligne qui permette à un groupe de chercheurs d'interagir simplement, de valoriser leur production et de simplifier leur gestion de projet. Il y a beaucoup de métiers dans un tel outil, et les solutions généralistes disponibles ne répondent pas aux attentes de la plupart des chercheurs.
Y : Quels ont été tes/vos choix techniques et pourquoi ? Comment celui-ci va etre distribué (prix, formation, installation) ? Sous quelle licence ?
J : artich.io sera distribué en mode SaaS (Software as a Service), donc du logiciel en mode locatif comme peuvent l'être Netflix ou Spotify pour ne pas les citer. Il n'y aura a priori rien à installer pour nos clients si ce n'est un navigateur web moderne (pas IE<10 quoi).
Mon associé étant un évangéliste de l'Open Source, ouvrir la plate-forme sous une licence libre est une éventualité que nous considérons très sérieusement. Une partie de nos développements est d'ailleurs déjà distribuée librement et disponible sur notre github.
Y : TailorDev a‑t'il d'autres projets ? Si oui, tu peux nous en parler un peu plus ?
J : Oui en parallèle d'artich.io, nous avons une activité de service pour les laboratoires de recherche publics ou privés. Nous faisons du conseil et du développement pour les assister dans la modélisation de leur données, la valorisation de ces données (mise en place d'APIs REST) et la conception d'interfaces web pour les interroger et les visualiser.
M et Y : Merci Julien de t'être prêté à cet exercice et d'avoir répondu à nos questions.
Merci à Yoann M. et aux relecteurs Clem_, Kumquatum et Hedjour
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