Cela fait maintenant plusieurs années que Bioinfo-fr.net a été lancé mais connaissez-vous bien les administrateurs de ce site ? Nous vous proposons un entretien croisé de deux de nos administrateurs : Guillaume Collet (Bilouweb) et Isabelle Stévant (ZaZo0o).
GC : Bonjour ZaZo0o, merci d'avoir accepter cet entretien croisé, commençons par ton parcours. Qu'est-ce qui t'a menée à la bioinformatique ?
IS : Quand j'ai commencé ma licence de biologie, j'ai pris dans mes bagages l'ordinateur familial que mon grand frère avait amoureusement monté quelque temps auparavant. En tant que "libriste", il avait installé comme seul système d'exploitation Mandrake 10.0. À l'époque, je n'y connaissais strictement rien en informatique. J'ai appris quelques trucs à force de bidouillages hasardeux, puis, en 2ème année de licence de biologie (seconde 2ème année en fait), j'ai fais la connaissance d'un petit groupe d'étudiants en informatique qui voulait monter une association d'utilisateurs de logiciels libres (GULL pour les intimes). Nous avons monté ensemble ce qui est aujourd'hui Actux (http://actux.eu.org). C'est ainsi que j'ai été happée par le monde (merveilleux) de GNU/Linux tout en poursuivant mes études de biologie.
Lorsque vint pointer à l'horizon la fin de la 3ème année de licence, il fallu faire un choix d'orientation. C'est donc en toute logique que je voulu relier mes études de biologie avec mon hobbie, l'informatique. Je me suis ainsi inscrite au master de bioinformatique de Rennes.
À l'issue du master avec un stage à rallonge, j'ai travaillé un an et demi en tant qu'ingénieur d'étude dans un laboratoire d'informatique médicale où j'ai fait du développement web.
Aujourd'hui, et ce depuis un an, je reviens à un mélange plus équilibré de biologie et d'informatique en préparant un doctorat en bioinformatique à l'université de Genève où je fais à la fois de la paillasse et de l'analyse de RNA-seq.
À toi Bilou, quel est ton parcours ?
GC : J’ai suivi des études d’informatique avec une licence puis une maîtrise (à l’époque) de l’université de Rennes 1. Ensuite je voulais entrer directement en master 2 bioinformatique à Rennes mais comme je n’avais aucune expérience en biologie, je n’ai pas été pris. Du coup j’ai fait un master de recherche en informatique et un stage au sein de l’équipe Symbiose à l’IRISA de Rennes.
Grâce à ce stage, j’ai pu postuler de nouveau au master et ce coup-là, j’ai été pris. J’ai donc eu un master de recherche en Bioinformatique en 2006. J’ai enchaîné sur une thèse, toujours chez Symbiose, dont le sujet consistait à aligner des séquences sur des structures de protéines.
Ensuite, j’ai voulu aller à la rencontre des biologistes. Je suis donc parti en post-doc au CEA de Saclay, dans une équipe de biochimie (SIMOPRO). Là-bas, j’ai ajouté des fonctionnalités à un logiciel déjà existant qui permet de détecter des sites fonctionnels dans les structures de protéines.
Enfin, je suis revenu à Rennes, dans l’équipe Dyliss où je m’intéresse maintenant à la reconstruction de réseaux métaboliques. C’est complètement différent de ce que j’ai fait avant et cela me plaît bien.
Je suis admin de Bioinfo-fr.net, depuis un an. Toi, tu fais partie des fondateurs de Bioinfo-fr.net, peux-tu nous raconter la genèse du projet ? Comment en es-tu venue à participer ?
IS : Je suis une adepte d'IRC depuis des années. J'avais même créé un salon pour le master de bioinfo de Rennes qui nous permettait de rester en contact durant les périodes de stages. C'est justement quand j'étais en stage de M2 que j'ai eu connaissance du salon #bioinfo-fr sur Freenode.
Sur le salon, mis à part les blagounettes et les discussions hors sujets, nous échangions souvent des astuces, des liens vers des articles ou des outils pouvant améliorer notre travail. Après un an de blabla quotidiens sur le salon, nous nous sommes vite aperçus que souvent, les mêmes questions revenaient et qu'il était dommage qu'aucune trace de nos réponses ne restent sur la toile. Nous en avons discuté tous ensemble et avons décidé de créer un support où nous pourrions tous écrire des articles sur les sujets qui nous passionnent. Et c'est comme ça que Yoann M., Yohan J., Malicia et moi-même avons mis en place Bioinfo-fr.net.
Ma contribution lors de la création du blog s'est orientée sur le design et le choix "politique" d'en faire un recueil d'articles sous licence libre. En effet, Malicia et moi partageons le même intérêt pour le monde du libre et surtout du partage des connaissances. Yoann M. et Yohan J. se sont eux occupés de la partie logistique (nom de domaine, hébergement, installation…), ainsi que de l'organisation des articles sur le blog.
Enfin, on ne va pas se mentir, la genèse et l'administration du blog n'a pas été de tout repos, et les discussions ont souvent été houleuses. Ce n'est pas évident de se comprendre lorsqu'on communique par e‑mail et on a vu des quiproquos aboutir sur des disputes en interne. Mais nous sommes encore là, 2 ans et demi plus tard, et nous continuons notre travail de façon (plus ou moins) assidue. Je tiens d'ailleurs à rappeler que nous sommes tous bénévoles, que ce blog existe grace à ses contributeurs, et que nous encourageons quiconque a envie de partager à venir rejoindre l'équipe, quelque soit son niveau.
Mais revenons à la bioinformatique, comment perçois-tu ton métier, ta vision des sciences en général, et plus particulièrement l’interdisciplinarité de la bioinformatique ?
GC : Ce qui me plaît le plus dans la bioinfo, c’est justement l’interaction avec les biologistes, les chimistes. Au cours de ma thèse, je ne me suis pas assez intéressé à la biologie et je me suis aperçu que tout un pan de ma thèse, que je supposais vrai, n’était pas si vrai que ça. Du coup, je suis parti en post-doc dans un laboratoire de biochimie qui faisait de la synthèse de protéines. Cela m’a permis de voir quelles sont les problématiques qui préoccupent réellement les expérimentateurs et pas celles que je pensais être importantes.
Au niveau de la recherche scientifique en général, je perçois ça comme une grande chasse aux trésors, mais plutôt du genre collaboration que compétition.
IS : Et ton sujet de prédilection ?
GC : Mon sujet de prédilection c’est de résoudre des problèmes. Il se trouve que la bioinformatique est pleine de problèmes : traitement des données, stockage, parcours, modélisation, etc. Donc de mon coté, peu importe le sujet bio, ce qui me plaît c’est de réussir à comprendre ce que veulent les biologistes et de leur proposer des solutions originales, pas juste aligner les scripts (même si je le fais un peu).
D'ailleurs, je pense qu’après la phase d'accumulation de données (ce qui est en train de se passer), nous voyons bien que nous allons vers des problématiques d'analyse de plus en plus complexes. Il faudra donner du sens aux données, les relier entre-elles. On voit déjà apparaître des outils d’analyse plus rapides et des formats qui ne se contentent plus de stocker l’information mais qui donne aussi des liens vers d’autres données.
Et toi, ta vision de la bioinformatique dans le futur ?
IS : C'est difficile à dire, qui sait quelle nouvelle technologie sortira demain et révolutionnera la bioinformatique par l'apport d'un nouveau type de données, comme l'a fait l'apparition des microarray et plus tard des NGS, de la cristallographie, du MALDI-TOF…
Ce qui m'intrigue plus, c'est la place même de la bioinformatique. Je travaille actuellement dans deux laboratoires, un de biologie du développement et l'autre de bioinformatique (où il n'y a quasiment que des statisticiens de formation). Au milieu des biologistes je suis la bizarrerie, la geek qui passe son temps devant un écran noir avec du texte qui défile auquel on comprend rien du tout. Quand je vais chez les bioinformaticiens, ils me voient comme une biologiste qui pige que dalle à l'informatique alors même que je sais probablement mieux coder qu'eux vu que j'ai bossé comme développeur, mais ça… Je crois que le pire que j'ai entendu, c'est une phrase qui est sorti de la bouche de mon co-directeur biologiste : "De toute façon la bioinformatique c'est qu'un outil, c'est comme faire une PCR ou une immunofluorescence"…
Sommes-nous réellement que des outils ? Je ne crois pas. Nous sommes des créateurs d'outils, des analyseurs sur pattes, nous innovons tous les jours à travers de simples scripts ou de codes complexes. Est-ce qu'un jour la bioinformatique sera réellement reconnue en tant que filière à part entière ? Est-ce que les biologistes arrêteront de nous voir comme des pousse-boutons et comprendront que pour faire notre boulot il faut assimiler tout un tas de notions de statistique, d’algorithmique, d'informatique au sens large, en plus de la biologie ?
GC : Je crois que oui, on y vient tranquillement. La bioinformatique entrant dans la plupart des cursus bio, les mentalités vont changer. D'ailleurs, quels conseils donnerais-tu à des étudiants qui veulent se lancer dans la bioinfo ?
IS : Heu… Il faut être patient, persévérant, passionné, ne jamais oublier l'aspect biologique des données que l'on a à traiter, ou à l'inverse, rester suffisamment neutre pour ne pas orienter son analyse dans la direction où on veut qu'elle aille. Tout est une question d'équilibre je dirais.
Ha, un mot aussi, j'ai remarqué que souvent, les étudiants qui commence leur cursus en bioinformatique en ayant une base de biologie ont tendance à se focaliser sur l'apprentissage d'un et d'un seul langage de programmation. Ils font une fixette là-dessus. À ça, j'ai envie de leur dire : ce n'est pas un langage qu'il faut apprendre, mais la logique derrière. Un langage c'est une syntaxe, si vous comprenez la logique de la programmation, peu importe le langage, il suffira de vous adapter à la syntaxe. Quand vous aurez pigé ça, vous pourrez vous intéresser aux concepts plus en profondeur comme la notion d'objet, de pointeur, d'allocation mémoire, etc.
Il faut se décomplexer de l'apprentissage de la programmation, c'est pas compliqué, c'est logique 🙂
GC : Je crois que j'ai fait le tour des questions que je voulais te poser. Je te remercie d'y avoir répondu.
IS : Merci à toi pour cette interview virtuelle.
Nous remercions waqueteu, hedjour et Yoann M. pour leur relecture attentive.
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