Retranscription de la Table Ouverte en bioinformatique (TOBi) du mois d'avril 2017 avec Jean-Marc Victor, directeur de recherche CNRS au LPTMC et responsable du GdR ADN.
Pouvez-vous vous présenter ?
Jean-Marc Victor : Je ne suis pas bioinformaticien. Je suis un peu bio, mais pas trop informaticien. Et je suis physicien. Et il parait que c'est la première fois qu'un physicien vient.
Alors je sais d'expérience que si vous avez fait de la bioinfo, c'est qu'en particulier vous ne vouliez pas faire de physique.
Du coup je ne sais pas bien ce que vous attendez. Je ne vais pas vous convaincre qu'il faut faire de la physique. Bon ce n'est pas trop tard, ce n'est jamais trop tard.
Comment en êtes-vous arrivé à faire de la bio et quel est votre sujet de recherche ?
JMV : Bon je vais vous raconter un peu ce que j'ai fait. Dans l'équipe, on s'occupe depuis une vingtaine d'années de la physique des chromosomes. Alors, physique, désolé, mais y'a quand même chromosomes.
En fait, je viens de la physique des polymères mais je suis physicien théoricien, je ne fais pas de manips. Je fais donc de la théorie. Souvent, ce qu'on fait dans l'équipe… Quand c'est d'autres gens qui en parlent, ils disent qu'on fait des modèles mathématiques. Et ce n'est pas du tout le cas. On fait des modèles physiques. Alors je ne sais pas si on pourra parler de la différence, mais je pense que vous êtes plus mathématicien que physicien, j'imagine. Pour faire de la physique théorique, il faut faire un petit peu de maths, mais juste un petit peu.
Et donc, on n'est plus vraiment physicien non plus. On est un peu perdu pour la physique, on est passé de l'autre côté. On a dit qu'on allait faire de la bio. Alors la bio qu'on fait, c'est dans le noyau. On est des physiciens du noyau. Et y'en a pas beaucoup. La plupart des physiciens qui font de la bio, ils ne rentrent jamais dans le noyau. Et nous, on en sort jamais. On se rencontre pas souvent.
Alors dans l'équipe on fait plusieurs choses. Au départ on faisait de la physique de l'ADN. Alors l'ADN c'est LA molécule — c'est pas à vous que je vais l'expliquer — de la biologie, du vivant. Mais alors comme polymère physique, y'a pas mieux. C'est vraiment super. Je veux dire, c'est un truc indestructible, enfin difficilement destructible et avec lequel on peut jouer. Par exemple, on peut faire des nœuds. Y'a des gens qui théorisent, y'a des simulations, y'a des manips, des vraies manips avec de l'ADN, avec des pinces optiques, et on fait des nœuds. Et on mesure des propriétés, comme l'élasticité. Enfin on peut jouer avec l'ADN. C'est vraiment une molécule physique, qui n'a aucun problème : elle ne se dégrade pas. C'est pas comme l'ARN. Et donc nous, on a regardé ça d'un point de vue physique des polymères.
Ce n'est pas un polymère très excitant sauf qu'il a des propriétés électrostatiques, mais là je ne rentre pas dans le détail parce que l'électrostatique vous voulez pas savoir. Mais vous savez par exemple que l'ADN c'est la molécule la plus chargée au monde. Et c'est très important. Par exemple, le premier truc que j'ai appris sur l'ADN, c'est que c'est une molécule tellement chargée, que n'importe quelle autre molécule chargée positivement va se mettre dessus. Mais elle se met dessus par un mécanisme appelé condensation de Manning qui dit que les ions se mettent dessus et sont piégés puis après peuvent se balader. En fait, il y a un système physique qui concentre les protéines importantes, les molécules importantes. Il y a déjà beaucoup de physique dans l'ADN.
Je faisais de la physique des polymères et je faisais un peu d'ARN à un moment. Et comme toujours, c'est des histoires de rencontres ou de phénomènes contingents. Je suis marié, ma femme est médecin et elle a une soeur qui fait de la génétique. Elle faisait de l'oncogénétique et elle avait un problème de translocation. Donc elle me montre des données. Et mon métier, mon vrai métier, n'est pas tellement d'être physicien — quoi que, on ne se refait pas — mais on m'apporte des données. Là les données c'était position d'un point de cassure sur un chromosome et position d'un point de cassure sur un autre chromosome. Par exemple sur le chromomosome 11 et sur le 22. Ils se cassent, recombinent et ça fait une translocation. Et elle me donne un nuage de point. Cassures sur le 11 et cassures sur le 22. Et elle me demande ce que je vois. Ben… je ne vois rien. Enfin si des points. Et elle me dit "faut trouver quelque chose, faut trouver quelque chose". Parce qu'on a rien trouvé justement avec des outils de bioinfo. On a cherché des séquences consensus, des machins, et on a rien trouvé. Est-ce que tu vois un mécanisme physique, genre ça casse et là… la cassure physique.
Alors j'ai cherché. Et j'ai quand même trouvé des trucs. Là on est dans les années 90. Assez rapidement, en fait, je découvre, que par exemple sur le chromosome 11, la distance entre deux points de cassure est souvent un multiple de genre 200pb, voire 400pb. Il y a une espèce de périodicité de 400pb. Je me suis demandé ce que c'était ce truc. Et je vais regarder dans les livres, et j'apprend ce que c'est un nucléosome. Et je découvre assez rapidement qu'il est bien connu que les cassures chromosomiques se font souvent tous les deux nucléosomes, comme s'il y avait une sorte de pattern physique à deux nucléosomes.
Je ne sais pas si vous savez quelque chose sur le positionnement des nucléosomes, mais à l'époque, le chef, qui s'appellait Gilles Thomas, qui était un grand généticien, est venu me dire que j'étais très gentil, que ce que j'avais trouvé était formidable, mais qu'on s'en foutait. Parce que la périodicité, à un point c'est monsieur machin et à un autre c'est madame bidule, ces gens ne se sont jamais rencontrés, donc tu comprends bien que la cassure ici et la cassure là, ça aurait un sens si les nucléosomes étaient positionnés de la même façon chez tout le monde. Mais il n'y a aucune chance que ce soit le cas. Donc c'est complètement con. Alors on a abandonné l'idée, et on est passé à autre chose.
Dix ans plus tard, sort la grande affaire du positionnement des nucléosomes. Ça devient le truc qui fait la une de Nature, Science, machin… Les nucléosomes sont positionnés. Et donc c'était pas que de la connerie. Comme quoi il y a des dogmes… Et la physique de l'affaire était pas claire. Moi je croyais, à l'époque, que les cassures se faisaient en dehors des nucléosomes dans ce qu'on appelle les linkers. Ben en fait, je crois que c'est justement pas dans les linkers que ça se casse mais plutôt sur les nucléosomes. Mais en tout cas, il y avait bien un truc.
Et c'est comme ça que je suis tombé dans la chromatine et je trouvais que j'avais un peu le feeling quand même. Ça me plaisait ce truc là. Donc j'ai proposé à une collègue du labo, Annick Lesne, qu'on monte une équipe de bio sur la chromatine. Alors physique de la chromatine, ça n'existait pas à l'époque. En France, y'avait personne. L'équipe a démarré en 2003. Et à l'époque il n'y avait rien. On a recruté tout de suite une collègue qui est toujours là. Et à l'époque on a lancé un concours pour recruter un maître de conf' en biophysique, plutôt de l'ADN et du noyau. Et on a eu trois candidats, seulement. Aujourd'hui quand on met un poste au concours, il peut y avoir 40 candidats. Et après on m'a dit que c'était n'importe quoi ce concours, avec que 3 candidats. Peut-être, sauf que la première classée, Maria Barbi, elle est venue chez nous, la deuxième est allée au CNRS et le troisième est maître de conf' à Orsay. C'est quand même pas mal. Les trois ont eu un poste, la même année. Mais il n'y avait pas grand monde, c'était un sujet qui n'existait pas. Aujourd'hui le sujet est mûr.
Après Maria, on a recruté Julien Mozziconacci, en 2009. Entre temps, ce qui a fait notre fortune c'est les manipulations de molécules uniques avec des pinces magnétiques. Vous connaissez ça ? Non ? Alors les pinces magnétiques ont été inventées en France par Vincent Crocquette et David Bensimon. Ils ont inventé ce truc génial où on prend une bille magnétique, on l'accroche à un bout d'ADN. L'autre bout d'ADN on l'accroche à une lame de microscope. On met ça en solution, et on met un champs magnétique — je ne vous dis pas comment. Le truc c'est qu'on peut à la fois tirer sur la bille et la faire tourner. Et quand je vous dis qu'on peut faire des nœuds, c'est grâce aux pinces, et on peut vraiment faire des trucs rigolos. On peut par exemple simuler de faire tourner l'ADN.
Vous savez un peu ce qu'est la transcription ? Ça nous a beaucoup occupé. La question c'était de savoir si lors de la transcription, c'est la polymérase qui tourne autour de l'ADN. Il y a une hélice et il faut suivre le sillon — y'en a deux, le grand et le petit — mais il faut tourner. Ou bien est-ce que c'est l'ADN qui se visse dans la polymérase ? Vous connaissez ce problème là ? Ça vous dit quelque chose ? Ça vous paraît surréaliste. Mais c'est pas du tout la même chose, parce que si c'est la polymérase qui tourne autour de l'ADN, elle est en train de transcrire son ARN, donc elle fait plein de tour et l'ARN se trouve emmêlé autour de l'ADN et après il faut qu'il s'en aille quand même. Ce n'est pas optimal. Alors que si c'est l'ADN qui se visse dedans, l'ARN s'en va, il peut commencer à se replier. Mais il y a toujours un problème : soit il faut démêler l'ARN de l'ADN soit il faut faire en sorte que l'ADN puisse se visser. Parce que quand même, il est tenu un peu en amont et en aval, ça ne se fait pas comme ça, il n'est pas libre de tourner comme il veut. Et donc, il y avait une manip à Curie, avec un de nos collègues, qui s'appelle Aurélien Bancaud, maintenant physicien à Toulouse, et lui il a réussi à mettre au point la manip qui consiste à mettre une fibre de chromatine — de l'ADN avec les nucléosome — avec la pince et l'a faite tourner. Je vous raconte pas les manips, mais c'était très difficile à mettre au point et super compliqué à interpréter mais on a réussi. Donc ça, ça a fait notre fortune et on est devenu les spécialistes des singles molecules.
Et on a même inventé un truc. Parmi vous, personne ne connaît le nucléosome ? Donc si je vous dis qu'on peut changer la chiralité du nucléosome, vous trouvez ça normal. Mais on peut changer la chiralité. Et c'est utile justement dans ces histoires de transcription.
Et puis après sont arrivées les manips de Hi‑C. Ça vous connaissez tous ? Non ? Ok… Et donc là, c'est Julien qui a pris ça en charge, il est vraiment passé de l'autre côté lui, car il s'est fait habilité en biologie… Alors qu'il est physicien… Il est devenu spécialiste de l'interprétation de ces manips de Hi‑C. Hi‑C ça veut dire carte de contact chromosomique, c'est une expérience servant à prédire la probabilité que deux régions de la chromatine soit proches dans l'espace a un instant t.
Pour en savoir plus, sur l'Hi‑C, voir les supers articles de Mathurin sur le sujet ici, ici et là.
JMV : Ça, ça sert à expliquer l'architecture des chromosomes. Alors puisque je parle d'architecture, en 2009, on s'est dit qu'il fallait faire savoir qu'on faisait de la physique des chromosomes. Et donc on a fait une première réunion sur le thème "architecture et dynamique fonctionnelle des chromosomes". Et on fait venir des spécialistes français de l'affaire et ils ont trouvé que c'était bien. En 2012 on a donc monté un GdR, c'est une structure du CNRS. C'est un réseau d'équipes. Avant on parlait d'un laboratoire sans mur, délocalisé sur toute la France, avec un budget absolument ridicule, mais on fait de l'animation. Et le nom du GdR c'est ADN pour Architecture et Dynamique Nucléaire. Donc ce n'est pas que de l'ADN. L'idée qui est derrière, qui est assez répandue, c'est que l'architecture des chromosomes dans le noyau a quelque chose à voir avec la fonction. C'est pas juste un sac avec des chromosomes qui font n'importe quoi. Ils se positionnent et donc ont des contacts privilégiés.
Donc on a toujours pas compris grand chose, mais un petit peu quand même. Donc y'a un petit bout de l'équipe qui travaille dans cette voie là. Et pendant ce temps là, nous — moi, Maria et un étudiant qui s'appelle Antony — alors le pauvre Antony on lui fait faire des trucs de physique des polymères, parce que la technique de Hi‑C c'était jusqu'à présent la seule façon d'explorer la structure des chromosomes dans un noyau. C'est extraordinaire comme on n'arrive pas à voir les chromosomes. Ils ne sont pourtant pas si petits. Mais on ne voit rien. Mais jusqu'à présent on ne voyait qu'à peu près rien sauf des images un peu ésotériques de contacts. Et puis depuis l'année dernière, on a ce qu'on appelle de la microscopie super résolue. Ça vous connaissez ? Les techniques expérimentales, ça vous intéresse ? C'est-à-dire que, vous, vous avez des données je suppose, mais avant d'avoir les données, il faut les acquérir.
Et donc là c'est la microscopie super résolue. Ça a valu le prix Nobel en 2014 et l'histoire est intéressante. Ce sont des allemands qui ont eu le Nobel pour ça. Et en fait, maintenant on peut voir des molécules de petites tailles. Et ils ont eu le Nobel de Chimie contrairement à ce qu'on pourrait croire. Ce sont les chimistes qui ont réussi le tour de force. Quand on fait de la microscopie, y'a une limite de résolution qui est due à la diffraction, c'est-à-dire que l'on prend un point, on l'éclaire et ça fait une tache. Et on peut pas faire moins que la tache. Alors évidemment si y'a qu'une tache, on peut se dire qu'on prend le centre de la tache. Ça, ça marche bien. Mais si on a deux points, on a deux taches, mais en fait, on n'en voit qu'une et on ne peut même pas savoir si y'en a une ou deux. Ça s'appelle la limite de résolution, et pendant très longtemps, nous les physiciens on a pensé que jamais on arriverait à faire de la microscopie à mieux que 200nm. Et les chimistes ont dit qu'eux ils avaient un truc : si on met le même truc fluorescent aux deux points, ça va éclairer en permanence, mais si on met des fluorophore un peu bizarre, genre qui s'allument et qui s'éteignent, qui scintillent comme la Tour Eiffel, une fois on a le premier point, une fois le deuxième, et c'est intermittent. À ce moment là, on peut faire plusieurs images, une fois on verra la première tache, une autre fois la deuxième. Et d'un coup, on est passé à 30nm. En microscopie ! 30 nm ! C'est à dire qu'on voit, qu'on peut voir pour de vrai, les chromosomes. Alors on les voit… on arrive presque à voir le chemin d'un chromosome, on arrive à voir des domaines. Et donc depuis genre 1 an et demi, on peut faire de la physique sur les chromosomes parce qu'on a de vraies images, c'est pas juste des trucs reconstitués.
Ce qui est bien, c'est que ça a montré que les techniques Hi‑C, auxquelles je ne croyais pas beaucoup, et bien finalement ce n'était pas que des bêtises. Et donc, toujours pareil, ceux qui s'y mettent en premier, qui ont l'air idiot, ils raflent tout.
Voilà pour ma vie de physicien des polymères.
Quand je faisais les chromosomes, les translocations chromosomiques, ça se faisait à Curie et après ça s'est fait au CEPH Fondation Jean Dausset. C'est là que s'est faite la première carte physique du génome, par un certain Daniel Cohen. C'était le début du tout début du grand séquençage. Première cartographie physique. Y'avait des morceaux. On savait qu'il y avait des morceaux là, là et puis là. Et il fallait faire le séquençage de tous les morceaux. Et en gros les assemblages des grands morceaux, on les avait déjà. Et là bas, j'ai rencontré un généticien, Jean-Pierre Hugot — je vous rappelle que je m'appelle Jean-Marc Victor, donc Victor Hugot c'est une association qui fonctionne assez bien depuis 20 ans, et on s'intéresse à la maladie de Crohn. Alors je vais pas tout vous raconter, mais on a fait un modèle de maladies chroniques. Et on pense, enfin depuis quelques semaines on est sûr, qu'on a trouvé quelque chose de formidable.
Avant de faire de la bio, vous faisiez de la physique, mais quoi en particulier ?
JMV : Je faisais de la physique théorique, de la physique des polymères. Alors quand on fait de la physique théorique des polymères, c'est pas terriblement… Alors je faisais des simulations numériques, ce que je n'aimais pas beaucoup non plus. Mais pour faire de la physique des polymères sans modélisation, c'est pas… Encore que… La physique des polymères, y'a ptet un nom que vous connaissez, Pierre-Gilles de Gennes. À l'époque c'était pas évident de faire des polymères comme je les faisais, car les simulations numériques il n'en avait pas besoin. Il a écrit un livre formidable qui s'appelle "Scaling concept in polymer physics". Ce livre est purement génial. Si vous voulez comprendre comment fonctionne une loi d'échelle, vous devez lire ce livre. Et il a été compliqué de le convaincre que les simulations c'était pas mal. Mais aujourd'hui je sais que les simulations c'est indispensables.
Donc je faisais de la physique des polymères. J'ai fait un M2 — enfin à l'époque ça s'appelait un DEA — de physique théorique. Ça veut dire relativité générale, théorie des champs. Et je déteste la mécanique quantique. Je me suis débrouillé pour ne faire JAMAIS de mécanique quantique de toute ma vie de chercheur. Mais je suis un peu rattrapé par le truc de façon bizarre, mais c'est rigolo. Mais la vraie physique quantique, je déteste. Donc je ne suis pas un vrai physicien.
Est-ce que la méthode que vous avez décrite tout à l'heure, faite par les chimistes, permet de voir de l'ADN, mais sans avoir besoin de le fixer ?
JMV : Oui, ça se fait en live aussi, mais c'est plus compliqué. Mais je suis pratiquement sûr qu'on voit des trucs in vivo. Parce qu'il n'y a pas besoin de fixer puisqu'il suffit que, enfin faut pas que ça bouge trop. Si on veut faire des mesures précises, il va falloir fixer. Par exemple, dans un papier paru dans Nature l'année dernière, ils ont trouvé un moyen de fixer sans changer l'état. Généralement quand on fixe, on compacte un peu. Et si on veut faire des mesures précises, c'est mieux de ne pas avoir ce phénomène. Et ils ont une méthode de fixation, mais on peut faire des trucs in vivo.
Est-ce que vous pensez qu'on va encore pouvoir améliorer la précision ?
JMV : Alors en X‑Y, je ne crois pas, mais en Z peut-être. La profondeur c'est toujours moins bien. Je crois pas. Enfin je ne sais pas, y'a toujours des progrès technologiques incroyables. Mais en l'occurence ça ne va pas nous changer la vie ça.
Enfin, en tout cas, nous les théoriciens on est tributaires des techniques. Les vraies découvertes, c'est les progrès techniques. C'est rare que le progrès vienne d'une idée. C'est assez rare. Y'a eu la relativité générale, 100 ans pour que la manip fonctionne. C'est un peu exceptionnel, d'habitude c'est l'inverse, la technique arrive et ça change la vie. Le Hi‑C, la microscopie super-résolue, ça change la vie. Faut suivre le truc quoi.
Quel est l'apport de la bioinfo dans la physique des polymères ?
JMV : On est content d'avoir les séquences, de savoir où y'a des gènes et où y'en a pas. On est content de savoir plein de choses parce qu'on cherche à comprendre comment ça fonctionne. C'est pas que la physique du truc, mais comprendre comment ça fonctionne. Ça peut être une question de différenciation cellulaire, de maladie… Une des questions qu'on s'est posée, c'est pourquoi on tombe malade ? Quand il y a une maladie contagieuse, virale ou bactérienne, on sait, on a compris depuis longtemps, mais quand on tombe malade du diabète, c'est moins évident. Enfin on sait pourquoi, mais on ne sait pas pourquoi on tombe malade à cet âge là plutôt qu'à un autre. Pourquoi on n'était pas malade et tout d'un coup, on tombe malade.
Est-ce que ça pourrait avoir un lien avec l'épigénétique ?
JMV : Merci ! Alors on a fait une très bonne revue dans l'équipe, qui s'appelle Physics of Epigenetics. En fait on l'a écrite parce qu'on y comprenait rien. Franchement l'épigénétique c'est monstrueux, on est pas biochimiste. Alors on s'est dit qu'on allait essayer de faire simple. Et évidemment, l'épigénétique c'est le grand truc, on en a pas fait le tour encore. Donc oui, c'est le grand sujet du moment. Donc on a essayé de dire que l'épigénétique y'avait sans doute beaucoup de chimie, mais que peut-être le vrai truc, c'est plutôt de la physique, de la physique qui prend profit de la chimie. Et le vrai truc malin, c'est que… nous les physiciens on est un peu en conflit avec les copains biochimistes parce qu'eux vont chercher la signification biochimique de la méthylation, de l'acéthylation, à quel endroit et ce que ça va faire alors que nous on va se demander si il y a un principe plus universel. C'est l'apport du physicien, trouver des lois générales. Et la loi générale, par exemple, se déplacer, ça peut être réalisé de plein de façons différentes, mais l'important c'est de se déplacer. L'important c'est de faire de la transcription. On peut la faire de différentes façons, y'a plusieurs polymérases. On peut se noyer dans les "elle fait comme ci ou comme ça". Donc là, pour un physicien, faire de la biologie, c'est compliqué. Mais pour un biologiste, faire de la physique, c'est impossible. C'est un peu dissymétrique.
Comment vous avez réussi à vous débrouiller avec un biologiste qui vous dit "ah tiens, on trouve pas la solution à comment ça marche. T'es physicien, trouve une solution." ?
JMV : Alors, ça c'est la façon dont on parle toujours aux physiciens.
Je vous raconte une autre histoire. Le gars qui était au CEPH me dit qu'il va inventer une machine pour faire du génotypage rapide. Il faut que ce soit rapide et que ça consomme très peu de matériel, et donc il faut se débrouiller pour que ça fonctionne avec des microgouttes. Des microgouttes de sang, de produit de PCR — car il faut bien amplifier l'ADN -, d'enzymes et puis de primers. Le problème c'est qu'il faut mélanger les microgouttes. Et autour de la table, tout le monde se retourne vers moi : "et alors toi le physicien, t'as pas une idée ?". Ben… non… Mais j'ai été voir des collègues, et là y'a un étudiant qui me dit que que les imprimantes jets d'encres font ça très bien, elles envoient des microgouttes. Alors on a inventé, j'ai un brevet — il est tombé dans le domaine public maintenant — une machine à mélanger les microgouttes. Et elle a même fonctionné. Et maintenant la technologie elle existe je crois. Bon, à l'époque on avait pas les séquençages ultra rapides, comme on fait maintenant, mais c'était des trucs qui étaient déjà dans l'air.
Mais le physicien on lui demande toujours si il n'a pas une idée. Chez moi, je suis physicien, donc il faut que je m'occupe de l'électricité. Je dis toujours que je suis théoricien, mais bon… Donc ça m'est déjà arrivé de monter un tableau électrique. Une fois qu'on a compris, ça donne confiance. Ça évite d'avoir peur. Par exemple, le tableau électrique, là, j'arrive dans une maison, il fallait que je l'ais branché avant le soir. J'étais en temps limité. À un moment, il faut mettre le courant. J'avais confiance, mais quand même j'ai mis des gants. Ça a marché. J'en ai parlé à mon frère qui fait de la maintenance industrielle, et il me demande si j'avais — évidemment — mis des lunettes. Et il me dit que j'ai eu de la chance.
Et donc, il faut avoir de la chance dans la vie, ça vous savez. C'est très important. Et il faut être optimiste. Si vous voulez faire de la recherche, c'est mieux d'être optimiste.
Merci beaucoup Jean-Marc !
Merci beaucoup à Jean-Marc pour cette introduction à la physique des polymères. On se retrouve très vite pour une nouvelle retranscription d'une TOBi !
Les Tables Ouvertes en Bioinformatique sont des événements mensuels organisés par l'association des Jeunes Bioinformaticiens de France (RSG France — JeBiF).
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