Ca y est ! Le concept des Tables Ouvertes en BioInformatique (TOBi), petit descendant des feus JeBiF Pub Paris, commence à bien s’implanter ! Un rapide rappel du concept pour les retardataires : tous les deuxièmes jeudi du mois au Café Six, retrouvez autour d'un verre l'association JeBiF et son invité du jour qui viendra présenter ses travaux, son parcours, une technique, un institut, etc. Et qui répondra à toutes vos questions !
Les deux premières éditions ayant rencontré un franc succès, nous avons décidé avec nos chers admins de retranscrire ici le contenu de ces rencontres. Les absents, retardataires et personnes extérieures à Paris n'auront donc plus d'excuse lorsqu'on leur demandera "Eh t'as pensé quoi du dernier TOBi " 😉
Les invités du mois de janvier et février étaient respectivement Christophe Malabat et Alexandre De Brevern. Mais c'est aujourd'hui, en ce magnifique mois de mars, que nous inaugurons les retranscriptions avec Sophie Schbath, directrice de Recherche à l'INRA, directrice de l'unité MaIAGE et présidente de la SFBI.
Gwenaëlle Lemoine (Gwenaëlle L.) : Bonjour Sophie, merci d'avoir répondu présente à cette troisième session de TOBi, c'est un plaisir de te recevoir. Entrons directement dans le vif du sujet : peux-tu nous présenter ta formation, ton parcours professionnel et tes extras ?
Sophie Schbath (Sophie S.) : Issue d'une formation mathématique (probabilités/statistiques) à la base, je me prédestinais à devenir enseignante. J'ai débuté par l'équivalent actuel d'une L2 de maths-informatique puis une L3 + Master de maths appliquées à la fac d'Orsay. L'INRA de Jouy-en-Josas m'a offert mon stage de fin d'études et il faut croire que j'y ai pris goût puisque j'y ai effectué ma thèse dont le sujet portait sur "Les statistiques de motifs dans l’ADN", faisant ainsi mes premiers pas en bioinformatique à proprement parler (anecdote : à l'époque, la plus grande séquence d'ADN que j'ai eu à analyser faisait 100kb). Mon post-doc s'est quant à lui fait à Los Angeles dans le laboratoire de Michael Waterman et Simon Tavaré où j'ai travaillé sur la cartographie physique (ancêtre du shotgun et de l'assemblage). Enfin, en revenant en France, j'ai obtenu un poste à l'INRA sur un profil très proche du mien en tant que CR2, et cela fait maintenant vingt ans que j'y suis.
En terme de carrière, j'ai ensuite gravi les différents échelons de chercheur dans un EPST [1] : au bout de quatre ans je suis passée CR1 [2], et dix ans après mon entrée, j'ai réussi le concours de directeur de recherche. J'ai fait partie d'un petit noyau qui a créé un des tout premiers laboratoires de bioinformatique à l'INRA : le laboratoire MIG qui était sous la tutelle de trois département : celui de maths/info (mon département), celui de microbiologie, et celui de physiologie animale. Suite à une fusion avec un autre laboratoire de maths/info l'unité MaIAGE est née, et j'en ai pris la direction. Cette activité de direction m'occupe quasiment à temps plein, mais c'est surtout parce qu'elle me plaît beaucoup, de même que le côté animation de la recherche. Du coup, je gère la SFBI essentiellement le soir et le week-end lorsque ma vie personnelle me le permet.
Concernant ces extras, j'ai commencé avec le GdR BiM que j'ai co-créé en 2006 avec Alain Denise et Claude Thermes. Puis j'ai laissé la main à d'autres 8 ans après, car j'avais entre temps pris la présidence de la SFBI. Cette société savante a été créée en 2006 entre autres par Guy Perrière, Alain Guénoche, Joël Pothier, avec comme ambition à son départ de pérenniser l'organisation des journées ouvertes en biologie informatique et mathématiques (JOBIM). Cette conférence avait elle même été créé en 2000 à l'initiative de Marie-France Sagot et Olivier Gascuel avec pour but de réunir les acteurs de la bioinformatique française chaque année. J'ai donc pris les rênes de la SFBI en 2010 avec la volonté de la rendre encore plus utile à la communauté. Après deux mandats de trois ans, je peux dire que nous avons étendu le champ de ses actions, et ce notamment grâce à des fonds qui permettent de suivre ses ambitions.
Gwenaëlle L. : Merci pour cette présentation ! Je vais commencer par repartir un petit peu sur ton parcours. Tu as fait ton post-doc aux États-Unis dans l'équipe de Michael Waterman. Je pense que de nombreux, si ce n'est tous les étudiants en bioinformatique ont étudié l'algorithme d'alignement de Smith et Waterman. Quelle impression cela fait d'avoir travaillé avec un des piliers de la bioinformatique moderne ?
Sophie S. : La première fois que je l'ai rencontré à Paris pour voir si ça pourrait matcher (c'est le cas de le dire), j'ai pu constater que c'était en fait une personne modeste et totalement accessible. S'il est très impressionnant par ses travaux, il n'en reste pas moins très humble. Et même si on ne travaille plus ensemble maintenant, il y a encore un réseau qui nous lie, nous sommes régulièrement en contact. J'ai également eu l'occasion de rencontrer Temple Smith qui était tout aussi sympathique. Lors d'un repas avec lui et Michael, j'ai notamment appris comment l'algorithme de Smith et Waterman était né : lors d'une balade en barque sur un lac, ils ont commencé à discuter et c'est comme ça qu'est né l'algorithme. Je me rends compte de la chance que j'ai eu, et je la dois à ma directrice de thèse, Élisabeth de Turckheim, qui me l'a offerte grâce à son réseau, d'où l'importance de celui-ci.
Gwenaëlle L. : Continuons dans ton parcours. Pour nous la fonction de directeur de laboratoire paraît très élevée, elle connote beaucoup de responsabilités administratives. Est-on alors encore un bioinformaticien ? A‑t-on encore les mains dans le code ?
Sophie S. : Non je n'en fais pratiquement plus, pour l'implémentation des méthodes je supervise des stagiaires et/ou doctorants. Directeur de laboratoire c'est en effet beaucoup d'administratif et de gestion des ressources humaines, mais c'est important de rester connecté à la recherche, de discuter avec d'autres scientifiques, d'aller dans des conférences… On est souvent considéré expert dans notre domaine, et donc sollicité pour des jurys de concours, des comités scientifiques en tout genre, etc. Ceci est rendu possible grâce à notre veille scientifique, notre acquisition permanente de connaissances. Cependant il faut faire attention car on peut vite perdre le côté scientifique/recherche au profit du côté administratif, et cela se fait plus ou moins facilement selon la taille du laboratoire. J'en ai parfaitement conscience et donc je suis vigilante. Mais en acceptant cette mission je savais qu'il serait important pour moi de protéger au maximum les chercheurs et ingénieurs de mon laboratoire de ces tâches administratives. J'ai donc tendance à faire tampon, peut-être un peu trop, pour les laisser "chercher" en paix ; ce n'est par contre pas le cas de tous les directeurs de labo qui délèguent beaucoup plus que moi. C'est un choix.
Gwenaëlle L. : Quelle impression a‑t-on d'avoir vu naître la bioinformatique en France ? De l'avoir vu se populariser et d'être ce soir face à une nouvelle génération de bioinformaticiens ?
Sophie S. : J'ai en effet démarré ma thèse au moment où la bioinformatique émergeait, c'était surtout de la génomique. A l'époque, les chercheurs du domaine étaient soit des mathématiciens, soit des informaticiens, soit des biologistes, ou aussi des physiciens. Il n'y avait pas de licence ou master dédiés. Cette interdisciplinarité s'est construite petit à petit pour devenir la bioinformatique d'aujourd'hui. Je continue néanmoins de penser que la bioinformatique n'est pas une discipline, mais plutôt une interdiscipline, mais c'est un vaste débat…
Gwenaëlle L. : Maintenant qu'on a fait le passé, on va aller de l'avant : quel est le futur de la bioinformatique pour toi ?
Sophie S. : Il est clair que la bioinformatique ne va pas s'arrêter d'ici demain ! Il y a encore énormément de choses à à développer et à découvrir. Le développement des biotechnologies renouvelle sans cesse les questions algorithmiques , mathématiques, etc. La métagénomique, par exemple, qui m'intéresse beaucoup en ce moment, permet d'attaquer des problématiques impensables il y a une dizaine d'années. De même, de nouveaux rapprochements s'opèrent tels que l'écologie et la microbiologie. Cela fait de notre discipline un métier d'avenir, même si la conjoncture actuelle ne permet pas de recruter autant de bioinformaticiens que de biologistes. Heureusement, il y a une prise de conscience progressive de la part des biologistes à savoir que l'analyse de leur données est devenue le goulot d'étranglement : ils recrutent donc des bioinformaticiens, mais ils se forment aussi. Il faut toutefois être vigilant au risque d'isolement et d'instrumentation lorsqu'un bioinformaticien est recruté dans un laboratoire de biologie. Le conseil que je peux donner est de se créer un réseau professionnel et de continuer à participer à des journées de rencontre entre bioinformaticiens telles que JOBIM sans oublier qu'il existe aussi localement des réseaux métiers. Et si ces efforts sont les bienvenus, l'idéal reste tout de même le développement de plateformes ou d'équipes en bioinformatique. Pour résumer : la bioinformatique a des tentacules dans tous les sens et ce n'est pas près de s'arrêter.
Gwenaëlle L. : Le métier de biologiste n'est-il pas justement voué à évoluer pour intégrer de plus en plus de bioinformatique ?
Sophie S. : Il est nécessaire au niveau des nouveaux cursus en biologie d'introduire davantage de concepts informatiques, voire de programmation, car c'est devenu incontournable dans la vie du chercheur avec le progrès des technologies. Ils ont vite accès à des données qu'il faut ensuite analyser comme c'est le cas pour les statistiques. Néanmoins, l'avenir du biologiste n'est pas de devenir bioinformaticien, cela restera des métiers et compétences différents. L'objectif est plutôt de pouvoir collaborer étroitement avec un bioinformaticien, un statisticien ou un algorithmicien, de parler un langage commun, de pouvoir s'apporter mutuellement des questions de recherche.
Gwenaëlle L. : On va maintenant s'intéresser un peu aux actions de la SFBI que tu présides. Combien y a‑t-il d'adhérents ? Combien coûte la cotisation pour adhérer à la SFBI et à quoi donne-t-elle accès ?
Sophie S. : Lorsque j'ai repris la SFBI, elle comptait 75 adhérents. Cependant ces dernières années, on arrivait à environ 200 adhérents, 300 quand le couplage avec l'inscription à JOBIM était possible. Mais cela reste trop faible à mes yeux comparé aux 400 personnes qui vont à JOBIM ou aux 1000 personnes affiliées au GdR BiM. Le frein n'est pourtant pas la cotisation car elle est de 20€ pour les titulaires et 10€ pour les étudiants et non titulaires (c'est peu si on compare à d'autres sociétés savantes). Elle donne droit essentiellement à une réduction à JOBIM (50€ et 30€ donc plus du double de l'adhésion) et le droit de vote à l'AG. Nous avons en effet fait le choix de ne pas limiter les ressources (la liste bioinfo, la publication d'offres d'emplois, le répertoire des équipes, etc.) à nos seuls membres car le but est de représenter toute la bioinformatique française et de structurer l'ensemble de la communauté, bref d'assumer notre rôle de société savante.
Gwenaëlle L. : À quoi sert le budget de la SFBI ?
Sophie S. : Première chose d'où vient-il ? Il vient d'une part des cotisations des adhérents, et d'autre part d'une partie des bénéfices, quand il y en a, réalisés par chaque conférence JOBIM (ce qui permet en cas de déficit de la conférence une année, d'équilibrer le budget, ce qui n'est encore jamais arrivé). Ce budget nous permet maintenant de financer des bourses, soit pour permettre à des doctorants de partir présenter leurs résultats à une conférence internationale, soit pour permettre à des post-docs (ou doctorants) français à l'étranger de venir à JOBIM présenter leurs travaux. Les seules conditions sont d'être membre de la SFBI au moment de candidater pour une bourse, que la conférence internationale soit dans le champs de la bioinformatique, et d'avoir moins de 36 ans. Depuis quelques années, la SFBI attribue également des prix à JOBIM pour des jeunes scientifiques : "meilleure présentation orale" et "meilleurs posters".
Gwenaëlle L. : Existe-t-il une société comme la SFBI à l'international ?
Sophie S. : L'ISCB se veut internationale bien qu'elle reste pilotée par les américains. On retrouve également des équivalents de la SFBI dans beaucoup de pays européens, ex : Allemagne, Pays-Bas, Italie, etc. mais il n'y a pas de fédération, ce qui limite les collaborations entre elles. L'ECCB apporte tout de même un ciment via son comité d'organisation puisque chaque pays d'accueil de la conférence éponyme se sert régulièrement des sociétés savantes locales pour le faire.
Gwenaëlle L. : Enfin pour conclure : vous rendez-vous compte à la SFBI de l'impact que vous avez sur la communauté bioinformatique française ? À quel point vous contribuez à l'emploi ?
*Une blague fuse : "ils remplacent pôle emploi" *
Sophie S. : Ce système mis en place est en effet une grande fierté, le dépôt d'offres d'emploi marche à plein régime. Vous le voyez maintenant, totalement installé, mais au début nous avons "ramé", et il a fallu deux/trois ans pour que cela s'impose. On a même à présent des cabinets de recrutement qui postent des offres sur le site de la SFBI. Parmi ces offres postées par la communauté bioinformatique, la très grande majorité sont des CDDs. A la fin de ma thèse, il y avait très peu de CDDs, et partir faire un post-doc n'était pas très courant, du moins en math. Maintenant c'est un passage obligé, mais cela rend difficile la conduite des projets de recherche lorsque ces CDDs partent. Pour en revenir aux offres d'emplois, si le passage par le formulaire du site web de la SFBI pour poster une offre a soulevé quelques réticences, beaucoup de gens sont très satisfaits. Les annonces sont en effet formatées (permettant ainsi leur analyse) et modérées manuellement, ce qui entraîne parfois quelques heures/jours de délais puisque nous sommes tous très occupés par ailleurs et le faisons généralement sur notre temps libre.
Gwenaëlle L. : Et bien merci pour cet entretien, merci pour ta présence à ce TOBI. Je pense qu'on a répondu à un bon nombre de questions ! Retrouvez-nous le 14 avril 2016 au Café Six pour rencontrer Gabriel Chandesris, Développeur R&D BIOVIA Predictive Drug Safety chez Dassault Systèmes.
Merci aux relecteurs Lroy, m4rsu, et Olivier Dameron, et Akira pour leur temps
[1] EPST : Etablissement Public à caractère Scientifique et Technologique
[2] CR1 : Chargé de Recherche de classe 1
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