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Questions à… Olivier Gascuel

A la veille des Jour­nées Ouvertes en Bio­lo­gie, Infor­ma­tique, Mathé­ma­tiques (JOBIM), nous avons trou­vé inté­res­sant de reve­nir à la créa­tion de cette confé­rence. Pour cela, nous avons ren­con­tré Oli­vier Gas­cuel, direc­teur de recherches CNRS au Labo­ra­toire d'Informatique, de Robo­tique et de Micro­élec­tro­nique de Mont­pel­lier (LIRMM), médaille d'argent du CNRS en 2009, qui nous emmène avec lui quelques années en arrière. Atta­chez vos cein­tures !

gascuel
Oli­vier Gas­cuel | © CNRS Pho­to­thèque /​ E. PERRIN

Maga­li Michaut (MM): Bon­jour Oli­vier. Je te remer­cie d’avoir accep­té cet entre­tien pour le blog bioin​fo​-fr​.net et les Bio­in­for­ma­tions. Pour com­men­cer, peux-tu nous par­ler de ta for­ma­tion ini­tiale et de ton par­cours pro­fes­sion­nel ?

Oli­vier Gas­cuel (OG): J'ai com­men­cé par faire des maths à l'ENS Cachan. On était très pous­sé vers les maths pures. Au bout d'un an j’avais presque fini ma maî­trise et j'ai pen­sé que ce n'était pas ma voie, je vou­lais faire des choses « utiles ». Alors j'ai com­men­cé l'informatique et l'architecture. J'ai mené en paral­lèle des études d'architecture jusqu’au diplôme d’architecte DPLG, et d'informatique, avec une thèse en intel­li­gence arti­fi­cielle. Je suis ensuite par­ti à la coopé­ra­tion pour le ser­vice mili­taire. J'ai tra­vaillé en tant qu'architecte au Bur­ki­na Faso pen­dant une grande année, j’aimais beau­coup, mais à mon retour en France le mar­ché de l’emploi était très bou­ché dans ce domaine.

Comme ma thèse en infor­ma­tique avait ren­con­tré un cer­tain suc­cès, je suis ren­tré au CNRS. Ma thèse por­tait sur les sys­tèmes experts pour le diag­nos­tic médi­cal, et j'ai conti­nué à m'intéresser à la méde­cine, au sein de mon ancien labo­ra­toire INSERM. J’ai décou­vert la bio­lo­gie molé­cu­laire peu après avec des jeunes cher­cheurs de l'Ins­ti­tut Pas­teur, Phi­lippe Mar­lière et William Sau­rin. J'ai trou­vé ce domaine pas­sion­nant. On était à la fin des années 80 et la bio­in­for­ma­tique n'était pas du tout à la mode. Le terme n’existait pas d’ailleurs. Pour don­ner une idée, quand j'ai vou­lu sou­te­nir mon HDR en infor­ma­tique (ndlr : habi­li­ta­tion à diri­ger des recherches, néces­saire pour enca­drer des doc­to­rants), on m'a dit de ne pas men­tion­ner mes publi­ca­tions en bio­lo­gie ! Cela étant dit, la bio­in­for­ma­tique est deve­nue d'actualité peu après, avec le lan­ce­ment du séquen­çage du génome humain en 1989.

J'ai tra­vaillé avec Antoine Dan­chin à l'Institut Pas­teur sur les pep­tides signaux au sein de dif­fé­rentes espèces, en par­ti­cu­lier H. sapiens et E. coli, avec des visées sur le génie géné­tique dont nous sou­hai­tions amé­lio­rer les ren­de­ments. J'ai ensuite tra­vaillé sur la pré­dic­tion de la struc­ture secon­daire de pro­téines. Au début des années 90 j'ai com­men­cé à m'intéresser à la phy­lo­gé­nie, dont j’ai beau­coup appré­cié la com­bi­nai­son de com­po­santes théo­riques et appli­ca­tives. Depuis je tra­vaille essen­tiel­le­ment dans ce domaine et celui des études évo­lu­tives en géné­ral, depuis l’émergence des épi­dé­mies virales, jusqu’au deve­nir de la bio­di­ver­si­té, en pas­sant par la modé­li­sa­tion des pro­ces­sus muta­tion­nels, dans les pro­téines notam­ment.

MM : Dans quelques jours a lieu la confé­rence JOBIM à Tou­louse. Tu as été très impli­qué dans l'organisation de la pre­mière édi­tion de cette confé­rence en 2000 à Mont­pel­lier, puis pour son 10e anni­ver­saire en 2010. Peux-tu nous racon­ter l'histoire de la créa­tion de cette confé­rence, main­te­nant réfé­rence dans le pay­sage bio­in­for­ma­tique fran­çais ?

OG : A la fin des années 90 j'étais res­pon­sable de l'action du minis­tère Infor­ma­tique-Mathé­ma­tiques-Phy­sique pour la Géno­mique (IMPG). Le but de cette action était de faire de l'animation scien­ti­fique, notam­ment en finan­çant de nom­breux évé­ne­ments. A cette époque les sémi­naires Algo­rith­mique et Bio­lo­gie de l'Institut Pas­teur, orga­ni­sés par Marie-France Sagot, avaient beau­coup d'influence et de suc­cès. Un soir on s'est retrou­vé à Lyon tous les deux sur la Place Bel­le­court pour aller au res­tau­rant, et on s'est dit que ce serait bien de mettre en place une confé­rence fran­çaise de bio­in­for­ma­tique. Comme on avait déjà orga­ni­sé à Mont­pel­lier l'année pré­cé­dente une confé­rence sur la clas­si­fi­ca­tion, nous avions pas mal d’expérience et on a déci­dé que cette pre­mière confé­rence se ferait à Mont­pel­lier avec l'appui de Gilles Caraux.

Au départ on devait orga­ni­ser la confé­rence dans un hôtel sur la plage à Sète, pour envi­ron 80 per­sonnes. Mais, quelques mois avant la confé­rence, les ges­tion­naires de l'hôtel nous annoncent qu’ils vont faire des répa­ra­tions et l'hôtel ne sera donc pas dis­po­nible. Branle-bas de com­bat, il nous faut un autre endroit pour accueillir la confé­rence. On s'arrange avec l'école d'agronomie, bien plus grande. Au final plus de 300 per­sonnes sont venues !! On a eu beau­coup de chance de chan­ger le lieu de la confé­rence au der­nier moment.

La confé­rence s'est extrê­me­ment bien dérou­lée. On avait invi­té cinq ora­teurs : David San­koff (Mont­réal, CA), Mike Steel (Can­ter­bur­ry, NZ), Chris­tian Gau­tier (Lyon, FR), Gene Myers (Washing­ton, USA) et Phi­lipp Bucher (Lau­sanne, CH). Il y avait vrai­ment un bon esprit et plein de petites anec­dotes sym­pas : l'anniversaire de Mike Steel célé­bré avec gâteau et bou­gies, la soi­rée de gala dans un domaine des envi­rons de Mont­pel­lier avec une cor­ri­da (ndlr : il y a des pho­tos sur les archives du site). On a publié une sélec­tion d’articles issus de la confé­rence dans les Lec­ture Notes in Com­pu­ter Science.

La confé­rence s'est ensuite tenue à Tou­louse, puis St Malo, où le nombre de par­ti­ci­pants a grim­pé à 480 (ndlr : l'historique des JOBIM est sur le site de la SFBI). Je pense que pro­gres­si­ve­ment il y a eu une évo­lu­tion du public de la confé­rence. Au départ il y avait une grande curio­si­té car les gens ne savaient pas ce que c'était que la bio­in­for­ma­tique. Les bio­lo­gistes vou­laient savoir ce que c'était et venaient à la confé­rence pour ça. Au bout d'un moment ce public là n'est plus venu et a été plus ou moins rem­pla­cé par des bio­in­for­ma­ti­ciens « de métier ». La com­mu­nau­té s’est en fait consi­dé­ra­ble­ment élar­gie.

L'orientation de la confé­rence a évo­lué aus­si, avec un accent moindre pour les tra­vaux très métho­do­lo­giques et un inté­rêt plus pous­sé pour les résul­tats d'analyses, les bases de don­nées, etc… Un chan­ge­ment très impor­tant a été la mise en place de ses­sions paral­lèles. Ceci a per­mis d'accepter plus de pré­sen­ta­tions orales et faire par­ler plus de jeunes cher­cheurs. C'est une très bonne évo­lu­tion. Même si j'ai main­te­nant rare­ment le temps d'y aller, je pense que JOBIM est une confé­rence essen­tielle, je suis ravi d'avoir contri­bué à sa mise en place, et j'encourage tou­jours vive­ment mes étu­diants à y aller. Ils seront nom­breux cette année.

MM : Tu as pré­si­dé la CID 43 (Com­mis­sion Inter­dis­ci­pli­naire du CNRS, Modé­li­sa­tion des sys­tèmes bio­lo­giques, bio­in­for­ma­tique). Quelles leçons en as-tu tirées ? Com­ment vois-tu la posi­tion de la bio­in­for­ma­tique dans les ins­tances de recherche en France ?

OG : Il y a trois ans envi­ron, la direc­tion du CNRS avait envi­sa­gé de reti­rer tous les postes aux concours dans les CIDs. La com­mu­nau­té n'était pas d'accord, au sein du CNRS comme à l’extérieur. Nous avons lan­cé des péti­tions qui ont été très sui­vies. Le CNRS a alors fait par­tiel­le­ment demi-tour et a don­né la moi­tié des postes habi­tuels aux CIDs, tan­dis que les autres postes ont été mis dans les sec­tions ordi­naires. A l'issue des concours, et après avoir fait le bilan de ce que sont capables de faire les CIDs par rap­port aux sec­tions, les postes inter­dis­ci­pli­naires sont reve­nus comme les années d'avant dans les CIDs, qui en sont sor­ties ren­for­cées. Comme la CID 43 mar­chait bien et était la plus ancienne, le CNRS a pro­po­sé de faire une sec­tion ordi­naire en bio­in­for­ma­tique. Il y a avait même un numé­ro de sec­tion déjà prêt ! Le CNRS a cepen­dant vou­lu savoir si cette déci­sion serait sui­vie par la com­mu­nau­té et un son­dage (dont vous vous rap­pe­lez sûre­ment, sauf pour les plus jeunes) a mon­tré qu’assez peu de gens sou­hai­taient cette trans­for­ma­tion, pré­fé­rant le sys­tème des CIDs, plus souple et réac­tif sui­vant l’évolution des dis­ci­plines. La bio­in­for­ma­tique est donc res­tée dans une CID, qui est main­te­nant la CID 51.

A mon avis, ce qui manque à la bio­in­for­ma­tique en France, ce sont de grands labo­ra­toires alliant une réelle exper­tise métho­do­lo­gique (mathé­ma­tiques, infor­ma­tique, phy­sique) à une exper­tise en bio­lo­gie et bio­in­for­ma­tique. Lors de mes séjours à l'EBI (Euro­pean Bio­in­for­ma­tics Ins­ti­tute près de Cam­bridge, UK) je suis tou­jours frap­pé et me dis que "C'est là qu'il faut être !" Il y a à l'EBI (et au San­ger Cen­ter voi­sin) une masse cri­tique incroyable et de nom­breuses per­sonnes avec qui inter­agir. Le sys­tème fran­çais a ten­dance à être très cloi­son­né sur le plan thé­ma­tique, et assez peu réac­tif. C'est un avan­tage pour des dis­ci­plines fon­da­men­tales et anciennes telles que les mathé­ma­tiques, dis­ci­plines dans les­quelles la France est très com­pé­ti­tive ; mais cela est plus pro­blé­ma­tique pour les dis­ci­plines jeunes et inter­dis­ci­pli­naires comme la bio­in­for­ma­tique. Cela étant dit, il y a aus­si de bonnes ini­tia­tives comme par exemple la créa­tion d'une nou­velle CID à l'interface phy­sique-bio­lo­gie, les plans d'investissement d'avenir qui financent notam­ment l'Institut Fran­çais de Bio­in­for­ma­tique (IFB, voir l'entre­tien de Jean-Fran­çois Gibrat à ce pro­pos), ain­si que l'Ins­ti­tut de Bio­lo­gie Com­pu­ta­tion­nelle (IBC) que nous sommes en train de mettre en place à Mont­pel­lier. Des points posi­tifs donc, et tou­jours plus de jeunes cher­cheurs brillants dans le domaine, l’essentiel est là !

MM : Un grand mer­ci à toi pour cet entre­tien et ta dis­po­ni­bi­li­té.

 Mer­ci à Clem_​, Nol­wenn et Yoann M. pour leur relec­ture.

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