C'est la rentrée, les vacances sont terminées et les étudiants reprennent le chemin des bancs de la fac, tandis que les enseignants-chercheurs repassent devant le tableau noir pour transmettre leurs connaissances. C'est aussi la période où une partie des étudiants franchissent la dernière ligne droite : la remise du manuscrit de thèse et la soumission devant un jury. C'est pourquoi nous interviewons une doctorante au MTi (Molécule Thérapeutique in silico) INSERM, Paris Diderot, qui se prépare à décrocher l'ultime diplôme et qui a accepté de revenir sur son parcours : Virginie Martiny.
Pierre Thevenet (PT) : Bonjour Virginie. Tout d'abord, merci d'avoir accepté de répondre à quelques questions pour le blog bioinfo-fr.net et les Bioinformations. Peux-tu nous expliquer comment tu as découvert la bioinformatique et nous détailler ta formation jusqu'à présent ?
Virginie Martiny (VM) : Bonjour. J'ai découvert la bioinformatique un peu par hasard : après le bac, je me suis engagée dans des études de pharmacie et comme beaucoup je n'ai pas eu le concours. J'ai donc accepté l'équivalence avec une 2ème année de biologie que j'ai faite à Paris 7. Au cours de cette année, l'UE "Informatique pour biologistes" m'a donné un petit aperçu de la bioinformatique, dont je n'avais jamais entendu parler et lorsque l'option "bioinformatique" s'est ouverte, je m'y suis inscrite pour en apprendre un peu plus. Au début, j'ai été plus intriguée que séduite, mais au fur et à mesure des cours et de mes progrès en programmation, j'y ai vraiment pris goût et j'ai réalisé qu'il était possible de faire énormément de choses. C'est donc tout naturellement que je me suis lancée dans une 3ème année de licence en bioinformatique. C'était en quelque sorte une année test, car faire une option est une chose, mais toute une année en est une autre. J'ai vraiment apprécié cette année une fois que j'ai acquis de solides bases en programmation. J'ai donc continué en M1 et M2 bioinformatique, toujours à Paris 7, où j'ai pu découvrir différentes spécialités. J'ai poursuivi en thèse dans le laboratoire Molécules Thérapeutiques in silico (MTi) Paris 7 — INSERM UMRS973, où je me suis spécialisée en drug design.
PT : A propos de ta thèse, comment as-tu fait pour trouver ton laboratoire et le financement pour ces trois ans ?
VM : Arrivée en M2, il a fallu très vite trouver un laboratoire d'accueil pour le stage de fin d'année de 6 mois. J'avais déjà en tête de faire du drug design, j'ai donc démarché un laboratoire de mon université, spécialisé en drug design, en spécifiant que je souhaitais poursuivre en thèse. J'ai été acceptée en stage, avec la possibilité de faire une thèse si j'obtenais un financement. Au cours de mon stage, nous avons monté un dossier DIM Ile de France (Domaine d'Intérêt Majeur) pour essayer d'avoir une bourse, que nous n'avons malheureusement pas obtenue. Je me suis alors présentée au concours des contrats doctoraux (ex concours des allocations). Avec beaucoup de travail et peut-être aussi un peu de chance, j'ai réussi à me classer première du concours et à décrocher un contrat doctoral avec une mission d'enseignement qui m'a permis d'être financée pendant mes 3 ans de thèse.
PT : Quel était ton sujet de thèse ?
VM : L'intitulé exact, un peu sexy et à la fois incompréhensible pour les non initiés est "Vers la prédiction des propriétés ADME-Tox des molécules à visée thérapeutique par une approche basée sur la structure des enzymes du métabolisme". En décodé, mon travail s'inscrit dans le contexte de découverte et développement de nouveaux médicaments. Les propriétés d'Absorption, Distribution, Métabolisme, Excrétion et Toxicité (ADME-Tox) sont tout un ensemble de paramètres qu'une molécule doit présenter pour pouvoir devenir un médicament. Les enzymes du métabolisme, quant à elles, sont des protéines chargées notamment de détoxiquer l'organisme, en modifiant les molécules avec lesquelles elles interagissent.
Un médicament étant une molécule étrangère à l'organisme, ces enzymes vont chercher à modifier ce médicament pour l'éliminer rapidement du corps. Cette modification du médicament entraîne également un changement des propriétés ADME-Tox, ce qui peut avoir plusieurs conséquences plus ou moins dommageables, comme un manque d'efficacité ou des interactions médicamenteuses par exemple. Il est donc extrêmement important de pouvoir prédire l'interaction de molécules avec ces enzymes du métabolisme dans le cadre du développement de nouveaux médicaments, pour garantir la sécurité du patient. Ceci est possible notamment grâce à des méthodes in silico, telles que le docking, le criblage virtuel ou les simulations de dynamique moléculaire et cela a été mon travail pendant 3 ans.
PT : Qu'attendais-tu de la thèse ? S'est-elle passée comme tu te l'imaginais ?
VM : Comme j'ai fait mon stage de M2 et ma thèse au même endroit, mes attentes étaient, je pense, différentes de quelqu'un qui a décroché une bourse de thèse dans un laboratoire qu'il ne connait pas. Mes objectifs étaient plutôt de poursuivre mon travail de M2, en allant beaucoup plus loin, car j'avais obtenu des résultats intéressants et surtout, je m'attendais à pouvoir profiter des compétences et expertises des membres du laboratoire pour être plus efficace dans mon travail.
Elle s'est, en partie, passée comme prévue. J'ai appris énormément de choses, même si je ne m'en suis réellement rendue compte qu'au moment de la rédaction de mon manuscrit, où c'est en quelque sorte l'heure du bilan. J'ai eu l'occasion d'aller en congrès et de voir ce qui se faisait dans d'autres laboratoires, dans d'autres pays, ce qui est vraiment enrichissant. C'est l'occasion aussi de voir ce dont on est capable, surtout lorsque l'on se retrouve parachuté dans une petite ville d'Allemagne, où l'on ne connait personne et que l'on doit faire son premier talk en anglais, devant un amphi plein de chercheurs du domaine.
Mais, il y a également certaines choses que je n'avais pas anticipées, comme le statut un peu bâtard du thésard, à moitié étudiant, à moitié salarié et puis aussi toutes les petites obligations comme les formations, qui sont certes bénéfiques, mais extrêmement chronophages. Donc dans l'ensemble, ça s'est passé à 70% de la façon dont je me l'imaginais, mais ça fait partie de l'expérience et si tout était prévisible, on s'ennuierait !
PT : Pour faire reconnaître ton travail dans le milieu scientifique, tu as dû rédiger des articles et faire des présentations ou des posters à des congrès. Tu peux nous donner une petite liste de ces travaux ?
VM :
Voici la liste de l'ensemble de mes travaux. J'ai 4 papiers dont 2 en 1er auteur, j'ai un chapitre de livre en 1er auteur, j'ai fait 3 communications orales dont une primée en congrès international et 4 posters dont un primé en congrès international.
Publications et chapitre de livre
Martiny V.Y., Carbonell P., Lagorce D., Villoutreix B.O., Moroy G., Miteva M.A. In Silico Mechanistic Profiling to Probe Small Molecule Binding to Sulfotransferases. Plos One 2013 ; 8(9):e73587
Moroy G., Martiny V.Y., Vayer P., Villoutreix B.O., Miteva M.A. Towards in silico structure-based ADMET prediction in drug discovery. Drug Discovery Today2012 ; 17(1–2):44–55
Martiny V.Y., Miteva M.A. Advances in molecular modeling of human cytochrome P450 polymorphism. J. Mol. Biol. 2013 doi:pii : S0022-2836(13)00442–7. 10.1016/j.jmb.2013.07.010. [Epub ahead of print]
Isvoran A., Craciun D., Martiny V., Sperandio O., Miteva M.A. Computational analysis of protein-protein interfaces involving an alpha helix : insights for terphenyl-like molecules binding. BMC Pharmacol Toxicol. 2013 ; 14(1):31
Martiny V.Y., Moroy G., Vayer P., Villoutreix B.O., Miteva M.A. Prédiction in silico d’interactions de molécules « drug-like » avec des enzymes du métabolisme : vers la prédiction des modifications des propriétés ADME-Tox. Journées Scientifiques de l’ED MTCE, 8 et 9 avril 2013, Paris.
Martiny V.Y., Moroy G., Villoutreix B.O., Miteva M.A. In silico mechanistic approach to probe drug-like molecules binding to sulfotransferases. XXème journée des jeunes chercheurs S.C.T, 7–8 février 2013, Romainville, France.
Martiny V.Y., Moroy G., Lagorce D.,Villoutreix BO., Miteva M. Probing small-molecule binding to sulfotransferases : an silico protocol to predict metabolism and inhibition. « 25th Molecular Modelling Workshop 2011 », April, 4–6 2011, Erlangen, Germany
3ème Prix de la meilleure communication orale
Martiny V.Y., Moroy G., Badel A., Lagorce D., Villoutreix B.O. and Miteva M.A. In silico mechanistic approach to probe drug-like molecules binding to sulfotransferases. ADME&Predictive Toxicology, 13–14 March 2012, Munich, Germany.
Prix du meilleur poster
Martiny V.Y., Moroy G., Lagorce D., Miteva M. Prédiction in silico de l’interaction entre molécules à visée thérapeutique et sulfotransférases humaines impliquées dans la modification des propriétés ADME-Tox. 18ème Journée Jeunes Chercheurs de la Société Chimie Thérapeutique, 4 Fev. 2011, Paris.
Martiny V.Y., Moroy G., Badel A., Lagorce D., Miteva M.A. Prédiction de la fixation de ligands sur les SULTS : Vers la prédiction des modifications des propriétés ADME-Tox. Congrès des Jeunes Chercheurs en Biologie 2010 de l’Université René Descartes, 29 sept 2010, Paris.
Martiny V.Y., Moroy G, Badel A et Miteva M.A. Analyse des interactions entre les Sulfotransférases et leurs inhibiteurs : Perspectives de prédiction de la toxicité induite par les Sulfotransférases. Congrès « Toxicologie prédictive : les voies du futur » organisé par la Société de Pharmaco-Toxicologie Cellulaire, 18–19 Mai 2010, Paris.
PT : Qu'as-tu prévu après ta thèse ?
VM : En début de 3ème année, j'avais commencé à regarder un peu les offres de post-doc et disons que j'avais essayé de préparer mon après thèse. Bon, il s'avère qu'avec les derniers calculs à lancer, les dernières analyses et les papiers à rédiger, le temps passe tellement vite qu'on se retrouve à rédiger sa thèse. J'ai fini par me dire que je verrai après la rédaction du manuscrit, d'autant que ça permet aussi de prendre du recul sur ce qu'on a envie de faire. Concernant ma vision à long terme, je dois avouer que je ne sais toujours pas dans quelle direction j'ai envie d'aller. À court terme, ça s'est débloqué très vite. Je venais de finir de rédiger ma thèse, une offre de post-doc correspondant à mon profil s'est présentée, j'ai tenté le coup et j'ai été prise. Ce post-doc d'un an va me permettre de découvrir d'autres axes de recherche, d'autres méthodes de travail et va également me laisser le temps de réfléchir à mon avenir professionnel à plus long terme.
PT : Merci beaucoup d'avoir répondu nos questions. Nous espérons que ton témoignage permettra aux futurs thésards d'appréhender un peu plus ce qui les attend. Nous te souhaitons bon courage pour ta soutenance et bonne chance pour la suite.
Merci à ook4mi et Nolwenn pour leurs corrections, et Zazo0o pour avoir rendu l'article un peu plus lisible.
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