Opinion :
De l’utilité (ou pas) d’une thèse en bioinformatique

Fly, you fools! | "Piled Higher and Deeper" by Jorge Cham - www.phdcomics.com

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“Et pourquoi pas une thèse ?” vous êtes-vous peut-être demandé en sortant du TD de statistiques de mardi dernier. Pas forcément en biostatistiques, la thèse, hein. Mais la bioinformatique, ça vous parle vraiment. Vous adorez travailler sur des projets concrets, seul ou en groupe. Par contre, pour ce qui est de penser à l’après-Master… Certains de vos collègues ont déjà des plans de carrière précis (“une thèse en 4 ans + deux postdocs à l’étranger + concours maître de conf’”), mais ça n’est pas votre cas. Voici donc un (long) billet, pour vous convaincre que faire une thèse, c’est le bien (ou pas).

L’été meurtrier

Juillet 2012. Alors que vous vous enduisiez de crème solaire SPF 50, les doigts de pieds en éventail sur la plage de Palavas-les-Flots, Casey Bergman publiait son top N des raisons de faire une thèse ou un postdoc en bioinformatique (note : ce billet s’adresse à des étudiants ayant un bagage uniquement biologique). Pour lui, l’informatique, c’est la compétence-clé à avoir aujourd’hui quand on est un biologiste, ça vous rend plus rigoureux dans votre travail, vous ouvre d’autres portes que la biologie “pure” et vous permet de publier plus. Ah, et aussi on peut plus facilement bosser depuis chez soi.

Quelques jours plus tard, on pouvait lire sur le blog homolog.us une réponse au billet de Bergman, soit le top N des raisons de ne pas faire une thèse en bioinformatique ; puis, en février 2013, un autre billet, faire une thèse ou non en bioinformatique, suite à un commentaire laissé dans le précédent écrit. Ici, un étudiant en bioinformatique, qui ne souhaite pas poursuivre une carrière académique, s’interroge sur le fait de quitter son poste bien payé dans l’industrie pour commencer une thèse. La réponse d’homolog.us :

  • grosse perte en terme de revenu s’il se lance en thèse, avoir une bourse et pas un “vrai” salaire
  • mais à l’université, y a des “smart kids”, avec des idées fraîches pour changer le monde

Bon, c’est bien beau tout ça, mais on n’est pas plus avancé… On se doutait bien qu’on ne gagnerait pas des masses en étant thésard (encore que… ça dépend du pays...). Mais bon, après, on va gagner plus, non ? Est-ce qu’on s’engage dans une carrière académique “pour de bon” ? Et puis d’abord, une thèse en bioinformatique, ça consiste en quoi ?

C’est quoi une thèse en bioinformatique ?

Bien sûr, on ne peut pas définir ce qu’est une thèse en bioinformatique. Mais globalement, faire une thèse (en bioinformatique ou autre), c’est passer plusieurs années à tenter de répondre à un ou plusieurs problèmes ; c’est lire une tonne et demie de publications et s’en inspirer pour créer quelque chose de mieux ou de plus adapté à notre problématique ; c’est rencontrer d’autres chercheurs passionnés et échanger ; c’est penser, tester et valider des hypothèses ; c’est souvent transmettre (ses connaissances, son amour de la science) à travers des cours et des TD ; c’est enfin communiquer ses résultats dans des articles scientifiques (et dans un gros pavé que peu de gens liront au final, mais qui fera classe dans ta bibliothèque - oui, au point où on en est, autant se tutoyer). Ce sont aussi souvent des années difficiles, qui demandent un investissement important, et laissent peu de place aux loisirs et à la vie privée. Alors, ça te dit ?

Et après la thèse ?

Si tu vises une carrière académique, la thèse est un passage obligé. Mais ça n’est pas parce que tu te lances dans une thèse que tu es coincé pour toujours dans la recherche publique ! Tu peux très bien passer du côté obscur dans le privé… et pourquoi pas revenir dans le public quelques années plus tard ! Et il en va de même après un post-doc. Par contre, se faire embaucher dans le privé en sortant de thèse n’est pas toujours évident en France : faible reconnaissance du diplôme de docteur sur le marché du travail, compétences mal identifiées par les employeurs... Comme le dit cet article du Monde, “même les postes dédiés à la recherche au sein des entreprises françaises sont majoritairement dévolus à des ingénieurs issus de grandes écoles (54 % en 2009, contre 13 % de docteurs, selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) [...] À ces obstacles dans le secteur privé s’ajoute un déficit chronique de postes d’enseignants-chercheurs au sein des universités françaises, où les places s’annoncent de plus en plus chères en temps de rigueur budgétaire”. Bref, c'est pas gagné, et il vaut peut-être mieux aller à un entretien d'embauche avec une copie du rapport "Compétences et employabilité des docteurs" sous le bras ! Cependant, ce constat ne se généralise pas à tous les pays.

Si tu as encore des questions ou des hésitations, pourquoi ne pas aborder le sujet avec ceux qui sont directement en première ligne ? Certains de tes encadrants de TD ou de projets sont eux-mêmes en thèse ! Tu peux également t'adresser à JeBIF - l'association des Jeunes Bioinformaticiens de France - ou plus généralement à la Confédération des Jeunes Chercheurs. Depuis quelques années, au cours des Journées Ouvertes en Biologie, Informatique et Mathématiques (JOBIM), JeBIF organise des ateliers, notamment sur l'insertion professionnelle des jeunes bioinformaticiens. Beaucoup de villes organisent également des forums à destination des jeunes diplômés issus de master ou d'école d'ingénieur.

“Et pourquoi pas une thèse ?”, me disais-je en 2ème année de Master, mais sans aucune intention de poursuivre une carrière académique. Au cours de mon stage de M2, on m’a donné ce judicieux conseil : ne fais pas une thèse pour faire une thèse ; fais une thèse parce que le sujet de thèse te plait.

Thèse ou pas thèse, votre avis et votre expérience nous intéressent ! N’hésitez pas à les partager dans les commentaires de ce billet.

Merci à Max, ZaZo0o et Clem_ pour les commentaires et discussions qui sont venus enrichir cet article.

  • À propos de
  • Issue du Master Bioinfo de Bordeaux (promo 2008). Après un stage de Master à Lausanne et une thèse à Dublin en "bioinformatique et évolution", j'ai posé mes valises en Suède. J'ai travaillé pendant 2 ans sur plusieurs projets concernant des plantes ("Hey mon ami, t'aimes ça manger des patates ?") et leurs mécanismes de défense face à certains pathogènes. Je suis aujourd'hui employée par la plateforme nationale de bioinformatique. Et quand je ne suis pas devant mon écran pour bosser, je suis devant mon écran pour jouer. Je suis aussi sur Twitter.

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14 commentaires sur “De l’utilité (ou pas) d’une thèse en bioinformatique

  1. Très bon article, tout en équilibre 🙂
    Je ne comprends pas l'association sous-entendue privé - côté obscur, ça fait un peu idée reçue. Je rajouterai également que le côté imprévisible vient aussi du fait que le sujet peut très fortement changer entre le début et la fin de thèse, pour le meilleur ou le pire...

    Et qu'en est-il du conseil d'apprendre le chinois plutôt que d'apprendre à programmer (dans l'article référencé), tu es d'accord ?

    • Salut magictrip !

      Merci pour ton commentaire. Alors, non, le sous-entendu "industrie = côté obscur" n'était pas un vrai sous-entendu. Je veux dire par là que si cette partie avait été écrite sous un autre angle (travailler dans l'industrie puis passer dans la recherche publique), j'aurais probablement écrit "côté obscur" aussi. Juste pour la blague. Et montrer ma maîtrise de l'outil "rayure". Je ne considère pas personnellement l'industrie comme le "côté obscur" (de la Force ou de quoi que ce soit d'autre).

      Et oui, parfois le sujet peut changer entre le début et la fin. Gros ou petit changement, c'est toujours mieux quand ça arrive au début plutôt qu'au milieu. Est-ce que ça t'est arrivé ?

      Quant au chinois... Comme le dit l'auteur de l'article "none of our friends thoughts it is a good idea" 😉 Même si dans les 2 cas on parle de langages, je ne trouve pas que ce soit comparable ou incompatible (tu peux très bien apprendre Java et le chinois). J'ai malheureusement égaré ma boule de cristal, donc pour voir l'avenir j'ai un peu de mal, mais mon conseil pour maintenant ça serait plutôt "avant d'apprendre le chinois, améliore ton anglais".

      • Y'a aussi l'option aller faire une thèse en Chine 😉

        • Oui, je l'ai pensé, mais pas écrit 😀

  2. Bonjour Estel !

    Deux avantages de la thèse pas mentionnés ici :

    - en biotech et pharma, il y a une culture forte de la thèse (ou du docteur en médecine), donc avoir un poste à responsabilité sans thèse dans ces domaines peut être difficile.

    - la thèse est le seul diplôme véritablement international, à mon avis.

    • Bonjour Marc 🙂

      Merci pour ces précisions ! Il est vrai que certains diplômes (du CAP au Master) sont mal reconnus - voire inconnus - à l'international. Et que 2 diplômés en bioinformatique n'auront pas le même profil, dépendant du Master qu'ils ont fait, de la promotion dont ils sont issus... En France on commence une thèse après 5 années d'études (3 ans de licence + 2 ans de Master), dans d'autres pays on peut commencer au bout de 4 années universitaires, sans passer par la case Master. La thèse est bien reconnue à l'international en tant que titre/diplôme (PhD), et en plus elle est couplée à plusieurs publications en anglais.

  3. Coucou Estel,

    comme déjà dis pré-publication j'aime bien l'article, merci et bravo 🙂

    Maintenant je vais en profiter pour poser une ou deux questions, que moi-même je me pose depuis un moment :

    Selon toi (ou vous, le débat est ouvert à tous) en ces temps d'économie pas super sereine (et d'ailleurs même sans ce facteur en fait...), un patron ne préférerait-il pas engager un ingénieur à +3,+4,+5 etc années d'expérience plutôt qu'un jeune docteur diplômé ? La question se pose surtout pour le privé je pense. Le public étant moins impacté par la demande de "rendement" ou "retour sur investissement", voire de "bénéfices".

    En effet, l'ingénieur coûtera moins cher globalement que son compère docteur et pour quasiment le même bagage. De plus le docteur aura souvent une spécialité très poussée dans un domaine, celui de sa thèse. Tandis que l'ingénieur aura souvent eu le loisir de se spécialiser dans plusieurs domaines au long de ses différents projets/contrats.

    Au niveau du boulot, LA grosse différence se joue en mon sens sur le fait que la plupart du temps on ne demandera pas à un ingénieur de mener de bout à bout son projet, contrairement au docteur qui est censé pouvoir gérer ça du début à la fin. Bien sûr ce n'est pas une vérité et des contre exemples existent comme toujours. Mais je pense que ce qui est dans les têtes de la plupart d'entre nous c'est un peu ça non ?

    Pour finir, la chose la plus "difficile" pour un ingénieur n'est-elle pas d'arriver à passer ce stade des 3,4 ou 5 années d'expériences ? Son collègue docteur n'aura-t-il pas de la peine à trouver autre chose qu'un PostDoc en CDD ?

    Encore une fois, toutes ses questions sont surtout valables pour le privé et pour les pays pas vraiment dans une bonne période économique. Le public étant moins impacté directement de mon point de vue, quoique proposant de plus en plus de CDD et de moins en moins de CDI...

    De toute façon il y a une chose qui reviendra toujours : on a rien sans rien 😉 Le travail paye (à ce qu'il parait).

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  5. A part pouvoir signer mes lettres par Docteur et mettre PhD dans mon pseudo twitter, aujourd'hui, je ne vois pas ce que ça m'apporterais... (gentil troll inside).

    Et puis 4/5 ans encore à la l'Université, j'en ai assez donné... Faut vraiment être maso pour faire un thèse.

    Je suis actuellement en stage pour mon M1 de bioinfo et franchement pour l'instant je n'ai pas envie de faire de thèse. Je songe plus à continuer à me former en programmation et/ou partir un peu dans le privé (n’imaginez pas combien pour moi c'est dur de dire ça...).

    Et pourtant faire une thèse c'est accéder à un autre niveau (et certains te le font bien sentir). C'est un autre monde et pas forcément le meilleur.

    J'ai encore un peu de temps avant de me décider.

  6. Bonjour Estel,
    Voulant me lancer dans la bioinformatique et faire un stage en Suisse, je souhaiterais savoir où vous avez fait votre stage à Lausanne, étant très intéressé 🙂

    • Salut Sam' !

      Alors j'ai fait mon stage à l'Unil, au sein du Département d'Écologie et d'Évolution (avec MRR ;-)).

      D'autres membres de Bioinfo-fr ont également fait un stage à l'Unil ou à l'EPFL voisine.

      • D'accord merci pour ces infos 🙂

  7. Une chose importante à savoir: Avoir une thèse peut être un problème pour trouver un emploi d'ingénieur dans la recherche publique en France. Pour certains CDD, les financements ne sont pas prévus pour embaucher un docteur, et donc le labo pourra refuser l'embauche, même si le profil est idéal pour le poste. Certains concours publics de recrutement d'ingénieur d'étude ont une règle implicite qui est qu'on écarte d'office les candidats ayant une thèse. Les docteurs sont censés postuler comme chercheurs ou comme ingénieurs de recherche, tant pis s'ils n'ont pas trop envie de mener leur propre projet de recherche, devoir aller à la pèche aux financements, gérer une plateforme avec son budget, son personnel et ses demandes d'utilisation. Bref, si ce qui nous intéresse vraiment, c'est résoudre des problèmes pratiques, avoir le nez dans le cambouis, coder, la thèse n'est pas forcément un avantage, dans l'état actuel de la recherche publique en France.

  8. Quelques mots d'un ancien. J'ai passé une thèse d'écologie il y a (très) longtemps (on disait thèse d'état). Je savais écrire quelques lignes de code en fortran, pascal, basic, LSE et j'étais courtisé par les (jeunes) collègues du labo (y avais pas mal de jeunes thésardes et des jeunes thésardes pas mal...). La "bioinformatique" n'existait pas et pas du tout valorisée pour obtenir un poste à l'Université. Les vieux bonzes (français) ne voyaient pas trop l'intérêt de faire des calculs pour simuler le fonctionnement d'un écosystème par exemple...Bon courage les enfants

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