Comme chaque mois à présent, retrouvez la retranscription du TOBi organisé par JeBiF.
Gwenaëlle Lemoine (Gwenaëlle L.) : Bonjour Gabriel, nous sommes ravis de te recevoir pour ce 4ème TOBi ! Tu travailles actuellement chez Dassault Systèmes et plus précisément Biovia mais n'en dévoilons pas plus. Je te laisse nous présenter ta formation, ton parcours professionnel …
Gabriel Chandesris (Gabriel C.) : Eh bien j'ai 34 ans. J'ai passé mon bac en 2000 et poursuivit par un IUT génie biologique pour finalement l'abandonner au bout d'un an. Je me suis redirigé vers un BTS biochimie (obtenu en 2003) que j'ai complété par des cours du soir au CNAM en bioinformatique grâce auxquels j’ai obtenu un certificat de compétence en bioinformatique (2005) puis une licence en bioinformatique (2007). Je suis ensuite rentré à la fac à Évry dans le master de bioinformatique (où nous étions à l’époque une promotion de cinq étudiants). Concernant les stages qui ont jalonné mon cursus, j'ai effectué un stage par formation à partir du BTS : d'abord dans un hôpital militaire (BTS), puis chez Sanofi au centre de recherche en bioinformatique (Licence Pro), puis dans un des laboratoires d'Évry en statistiques et génomes (M1), et enfin chez Dassault Systèmes sur leur tout nouveau projet "BioIntelligence" (M2) commencé en 2009, sur 5 ans en partie sur fonds européen. Par la suite, je suis parti travailler un an dans une entreprise, EDD, traitant les données issues d’autres entreprises (chiffre d’affaires, situation, bénéfices, …) car j’ai toujours aimé travailler sur des gros jeux de données. Puis souhaitant retourner à la bioinfo, j’ai intégré une petite start-up, SoBioS, pendant cinq ans qui a ensuite été rachetée par l'entreprise Dassault Systèmes. Couplé au rachat d’Accelrys (principalement pour leur logiciel Pipeline Pilot implanté chez des clients majeurs comme Sanofi, Merck, L'Oréal, …), Dassault Systèmes a ainsi fait évoluer son pôle bioinformatique nommé Biovia.
Mon travail actuel consiste en partie à réadapter les logiciels de SoBioS dans le giron de Dassault Systèmes (historiquement plus orienté sur le développement 3d, la modélisation, …). En effet, auparavant les applications étaient développées au plus proche des besoins clients (Ipsen, Pierre Fabre, Sanofi, …) et étaient donc très, voir trop spécifiques. L'autre partie de mon travail consiste à gérer les bases de données biologiques, en particulier tout ce qui tourne autour de la taille de celles-ci.
Gwenaëlle L. : Si j'ai bien suivi ton parcours, tu as travaillé dans le public mais aussi pas mal gravité autour de grandes entreprises. Quels sont les points positifs/négatifs à travailler dans le privé ?
Gabriel C. : Eh bien pour avoir travaillé dans les deux, le salaire est évidemment le premier critère auquel on pense. Cette notion d’argent disponible se retrouve également au sein de l’entreprise avec par exemple des facilités de financement de projets en interne. Il y a donc dans certaines entreprises un phénomène d’allocation de budget pour de la recherche un peu plus orientée fondamentale, de la recherche un peu moins orientée marché. Bien que les entreprises savent que c'est un investissement à plus long terme, on reste cependant dans un système qui se doit d’être au globalement rentable. On va donc avoir un temps limité pour de tels projets, mais aussi attendre d'eux en finalité qu’ils permettent un gain de quelque façon que ce soit.
Petite parenthèse, il faut savoir que l’argent n’est pas uniquement issu du chiffre d’affaire des entreprises, les avantages fiscaux et l’allocation d’avantages comme le crédit impôt recherche sont bien présents.
Les inconvénients du travail en entreprise sont toutefois présents. On va par exemple pouvoir retrouver une ambiance de secret permanent, pouvant paraître inoffensif voir bénéfique, mais qui peut mener à des incompréhensions, des erreurs, tant dans le management des équipes que de la gestion d'un projet. On éprouve donc parfois une certaine frustration concernant ces inconnues dans notre travail, mais dont il faut arriver à se défaire à force. On a aussi parfois des contraintes liées à l’historique de l’entreprise et des solutions précédemment développées. Elles vont alors créer des casse-têtes de maintenance ou d’évolution puisque le choix de refondre une application ne nous appartient pas. Cependant, il est à noter que ce phénomène est tout aussi présent dans le public.
Gwenaëlle L. : Quels sont vos projets de recherche ? Sur quoi travaillez-vous concrètement ?
Gabriel C. : On va retrouver des applications d’analyse de la toxicité (machine learning et prediction), mais également pas mal de modélisation puisque le cœur historique de Dassault Systèmes reste la conception 3D (tel que le logiciel Catia qui permet de faire de la CAO). Actuellement je continue surtout l'intégration des solutions développées par SoBioS dans l'environnement de Biovia et j'apporte une aide transversale.
Gwenaëlle L. : A quel point la bioinformatique et le machine learning sont-ils donc liés dans le privé ?
Gabriel C. : Il n’y a pas de lien strict à proprement parler. Cependant ce qui est appris en machine learning peut servir la bioinformatique et l’informatique de façon générale. C’est le cas de beaucoup d’outils appris en bioinformatique et c'est ce côté transversal des outils qui induit un phénomène bien connu dans notre domaine : le basculement complet du côté obscur en informatique. Par exemple, on entend beaucoup parler du big data (mot magique sur un CV) en ce moment dans notre branche, mais c’est une problématique dissociable de l’origine biologique des données.
Gwenaëlle L. : Est-ce qu’il y a des projets plutôt orientés modélisation moléculaire comme le docking ? Ou êtes-vous vraiment orientés informatique ?
Gabriel C. : Il y a de la modélisation 3D (activité initiale de Dassault Systèmes) et du docking moléculaire bien que celui-ci se trouve plutôt dans les équipes ex-Accelrys qui se trouve à San Diego ou Cambridge.
Gwenaëlle L. : Peux-tu nous décrire ton emploi du temps, ta charge de travail ? Y a‑t-il une pointeuse ?
Gabriel C. : Pas de pointeuse, mais les jeunes employés (tout juste diplômés) débutent pour la plupart avec un contrat avec un forfait horaire. Au bout d’un ou deux ans, ce système change pour passer au forfait jour. Dans les deux cas, on a chez Dassault Systèmes, comme dans la plupart des grosses boites, une plage horaire imposée (environ 11h / 15h). En moyenne chez nous, les gens font des journées de 9/10h à 17/18h sauf en temps de bouclage de projet. A côté de cela, si votre souhait est de temps en temps de commencer à 6h et finir à 21h personne ne sera là pour vous en empêcher (tant que cela reste dans certaines limites légales comme le temps de repos minimum). Mais rappelez-vous, dans le privé comme dans le public, que vous devez préserver un espace de vie privée sur lequel le boulot ne doit pas déborder. Seules quelques personnes sont soumises à des contraintes horaires, mais ce sont plutôt des sysadmins, des gens de l’IT, … que des gens en R&D.
Gwenaëlle L. : Tant que l'on est dans l'environnement de travail, peux-tu nous dire quel est ton OS de travail ? Le ou les IDE que tu emploies ? Les gestionnaires de version ?
Gabriel C. : Windows Seven, bien que comme vous l’aurez deviné aux badges sur ma veste (Il désigne deux badges ubuntu de chaque côté), je sois plutôt linuxien. Côté IDE, Visual Studio est énormément utilisé et également éclipse depuis l’avènement des solutions web à développer. Pour ce qui est du gestionnaire de version, c’est une solution développée en interne qui tourne depuis 20 ans et qui est assez similaire à Git ou à Subversion sur les principes de base.
Gwenaëlle L. : En toute logique on en vient à se demander : qu'en est-il du logiciel libre et de l’open source ?
Gabriel C. : Eh bien cela dépend de la politique de l’entreprise et des licences des logiciels en question. En l’occurrence chez Dassault Systèmes, on ne veut rien de libre ou qui puisse contaminer de façon libre le reste puisque leur marché principal est la vente de logiciels. D’autres entreprises ont la même politique (Google, Microsoft, …) et se débrouillent pour isoler le côté libre du logiciel qu’ils emploient dans leur propre application. Et quand ce n’est pas possible, il arrive que l'on demande à redévelopper entièrement la solution en interne.
Gwenaëlle L. : Fini le technique, on passe aux méthodologies : pour les méthodes de développement, utilisez-vous des méthodes de type Agile ?
Gabriel C. : On essaie d’appliquer strictement les méthodes agiles mais le côté humain ajoute de la complexité (c'est ce que vous répondront beaucoup de gens travaillant avec). Notamment quand des employés n’ont jamais entendu de cet aspect de développement ou restent attachés à la méthode de cycle en V et des procédures associées, qui restent présentes.
Gwenaëlle L. : Côté embauche, qu’en est-il ? Vous recrutez plutôt sur projet ou sur profil ? Êtes-vous plutôt sur des contrats CDI, CDD, prestation, intérim, … ?
Gabriel C. : Actuellement il n’y a pas de recrutement strict, on est plus sur du remplacement éventuel. La politique interne est de ne pas faire appel à la prestation mais plutôt d’ouvrir un poste en CDI lorsqu’il y a besoin. Je ne peux que vous inviter à regarder de temps en temps la page emploi du site de Dassault Systèmes. A une époque ces offres passaient même sur la liste de bioinfo et notamment lorsqu’il y a eu une campagne de recrutement avec une quinzaine offres d’un coup. On est ainsi 50/60 personnes sur la plateforme en France, sans compter le pôle que forment les employés issus du rachat d’Accelrys. Regardez, il y a des offres sur les sites hors France comme San Diego et un peu partout dans le monde.
Gwenaëlle L. : Et lorsqu'on est rentré, y a‑t-il des formations spécifiques, des possibilités d’évolution de poste dans le cadre du développement personnel et professionnel ?
Gabriel C. : Dassault Systèmes propose énormément de formations en interne avec une majorité portant sur le côté technique, un peu d’autres sur des technologies annexes, quelques formations en biologie (pour les commerciaux), et pas mal de formation en management. Ces dernières font transparaître le schéma actuel concernant l’évolution de poste : soit on monte en connaissances pour devenir expert, soit on ajoute une part de management à son travail avec de la gestion de projets et d’équipes.
Gwenaëlle L. : Voilà qui fait une magnifique conclusion ! Merci Gabriel pour cette intervention forte intéressante à ce TOBi. Restez à l’affût sur le site, la prochaine retranscription du TOBi de mai ne saurait tarder. On vous présentera Laurent Mouchard, créateur et modérateur de la liste bioinfo, qui viendra nous compter la petite histoire de la bioinfo 😉
Merci à Hedjour, Chopopope et Lins` pour leur relecture !
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