Un génome, c'est quoi ?
Avant de plonger dans le vif du sujet, mieux vaut s'assurer qu'on ait les bases. Nous allons parler de séquençage de génome. Pour les notions sur le séquençage je vous redirige vers cet excellent article et pour le génome on va partir d'une définition simple et efficace : il s'agit de l'ensemble de l'information génétique portée par l'ADN d'un être vivant. Et ça marche sur tout le vivant, que l'on soit une moule, une éponge, un chamois ou "tout simplement" un homme.
Au niveau humain : la course aux données
Pour ce qui est de notre espèce, le projet a commencé en 1990 et notre ADN a été considéré comme totalement séquencé en 2003. Il aura donc fallu 13 ans. Pour ceux et celles qui n'auraient pas suivi ce feuilleton scientifique à l'époque voici un court résumé. Le projet commence donc dans les années 90 et c'est en 1998 que tout va s’accélérer. C'est cette année là qu'un certain Craig Venter décide de fonder sa start-up, Celera Genomics, et annonce au monde entier qu'il terminera de séquencer le génome humain en 3 ans. De là il envisageait ensuite de vendre les données obtenues aux entreprises pharmaceutiques. C'est une véritable fronde qui s'organise du coté des scientifiques (dans le public) qui jugent que ces données doivent être rendues publiques. La course est lancée. Le premier des deux camps qui finira le premier aura sans doute le dernier mot. Finalement on arrive à un match nul, les deux "équipes" finissent le séquençage des données brutes en juin 2000. Pour la petite anecdote, lors de la publication des données un an plus tard en 2001, les "Celera" avoueront qu'en plus de leur propres données, ils se sont copieusement servis dans les données que le consortium international public (CIP) mettait à jour au fur et à mesure dans le domaine public…
Les données publiées en 2001 comprenant de nombreux trous et erreurs (dans les deux camps) sans doute dûs à la précipitation, seront republiées en 2004 par le CIP mais cette fois de manière plus propre et plus correcte.
Actuellement donc, n'importe qui peut consulter les séquences de notre ADN, qui est en réalité un consensus de séquences d'ADN de plusieurs individus.
Les techniques utilisées
C'est aux alentours de 1975 que pour la première fois deux hommes, Walter Gilbert et Frederick Sanger, développent indépendamment deux méthodes qui permettent de retranscrire l'ordre des nucléotides sur un brin d'ADN. Le séquençage était né.
À la suite de cela plusieurs techniques ont été développées et se sont suivies dans le temps. On parle à ce jour de trois générations. Nous avions déjà traité le sujet et je vous invite à consulter l'article en question si vous désirez en savoir plus sur la chose. Ou bien, vous pouvez aussi aller jeter un œil chez l'ami Philippe Julien qui avait également très bien traité le sujet.
L'émergence
Il y a encore 10 ans, penser à faire de la médecine personnalisée à moindre coût était complètement impensable. Le séquençage à lui tout seul faisait exploser le budget de n'importe quel individu situé dans la tranche moyenne de la population.
Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus, le coût d'un génome a considérablement baissé en 10 ans. Tout cela est relié à la loi de Moore. En effet, celle-ci prétend que le rapport entre la puissance d’un ordinateur et son prix double tous les dix-huit mois. En d'autres mots, cela a permis aux laboratoires d'avoir des machines de séquençage de plus en plus puissantes et à moindre coût. Faible coût pour les séquenceurs, donc faible coût pour les séquençages.
D'ailleurs si on regarde l'évolution du prix des séquençages par rapport à ce que la loi de Moore prédit, on se rend compte que cela s'est passé encore plus vite que prévu.
Ainsi, l'avancée scientifique est directement liée à la baisse des prix des expérimentations. L'argent domine le monde…
D'ailleurs, si vous souhaitez en savoir un peu plus sur le coût "réel" d'un génome humain, je vous invite à lire cet excellent billet de Marc Robinson-Rechavi.
Les buts de ces séquençages
Bien sûr tout défi cache un but. Ici, on ne peut pas vraiment dire que le but ultime est caché. Il s'agit tout simplement d'arriver à un jour où chaque personne pourra appliquer une médication efficace contre une maladie connue et soignable par rapport à son propre génome.
On sait en effet que nous ne réagissons pas tous pareillement aux médicaments (d'où les intitulés sur les effets secondaires pour chaque type de médicaments). Actuellement, lorsqu'un médicament est mis sur le marché il est censé fonctionner sur une très grande partie de la population, et ne doit bien entendu pas être létal (et ça pour tout le monde, heureusement).
Ainsi, par exemple les médicaments que nos amis asiatiques utilisent pour leurs médications ne sont pas exactement les mêmes que nos médicaments européens. Nos deux populations ayant quelques différences notables par-ci par-là dans nos génomes, il s'avère qu'il est préférable de ne pas garder les mêmes consensus pour nos types de médicaments. Si vous l’apprenez et que vous souhaitez en savoir un peu plus je vous invite à lire ce papier, celui-là et celui-ci pour commencer. Par contre, on me souffle dans l'oreillette qu'apparemment pour l'homéopathie il n'y aurait pas de changements notables entre différentes ethnies, si ce n'est peut être pour la provenance du sucre… 🙂
Ainsi avoir la possibilité de connaître directement la molécule qui irait le mieux à notre organisme malade plutôt que d'essayer un médicament qui est censé marcher sur la plupart de la population du coin serait un réel atout. Et les entreprises pharmaceutiques sauteront sûrement sur l'occasion pour en tirer leur épingle du jeu.
Et puis on pourrait imaginer que votre génome entier se trouve sur votre carte vitale, votre médecin n'aurait alors plus qu'à l'insérer dans son périphérique relié à son ordinateur, renseigner la maladie détectée et vous imprimer votre ordonnance parfaite. Ou encore, le pharmacien pourra vous concocter votre médication sur mesure pour une guérison plus rapide et plus efficace.
D'ailleurs si vous faites un peu attention autour de vous, tout cela a déjà commencé et se démocratise de plus en plus : nous sommes entourés d'objets connectés à nos organismes (pèse-personne, bracelet, podomètre, analyseur du sommeil, …).
L'autre but, qui n'est pas moindre, se situe lui avant la maladie : au niveau de la prévention. En effet, votre génome en poche et connu il sera alors beaucoup plus facile de vous attribuer des risques chiffrés pour telle ou telle maladie. L'éthique se mêlera alors au sujet : que faire si on vous diagnostique comme ayant 60% de risque de devenir diabétique ? Ou bien 45,3% de risque de développer un certain type de cancer ? Faudra-t-il vraiment tout vous dire ? Comment réagiront les personnes à qui on dira dès leur 15ème année qu'ils n'iront sans doute pas au delà de 40 ans ?
Les grandes boîtes qui misent dessus
Vous l'aurez compris : il y a un énorme marché qui s'ouvre. Plusieurs grandes multinationales l'ont déjà bien compris et ont sauté sur l'occasion dans l'espoir de breveter le plus de choses possibles avant leurs concurrents.
23andme, un des pionniers dans le domaine, est sans doute l'un des plus avancés et des plus connus du grand public. Pour une poignée de dollars on vous envoie un kit dans le but de récolter des échantillons biologiques venant de vous et de votre famille. Une fois renvoyé à l'entreprise, ils permettront de tracer un rapide aperçu génomique de votre famille. Fiston aura-t-il le gène de l'intelligence et sera-t-il voué à de grandes études ? Maman devra-t-elle subir une ablation du sein afin d'éviter le pire ? Et fillette aura-t-elle du diabète dans quelques années ?
Forcément, tout ça a fini par effrayer les politiques et la population (surtout aux USA où la panique s'installe assez vite). Et c'est assez récemment que 23andme a été contraint d’arrêter son service d'interprétation du génome et de prédiction de la santé, pour se concentrer uniquement sur la recherche généalogique génétique. C'était ça ou la clé sous la porte. A ce jour, ils continuent quand même de fournir votre génome sous forme de raw data (données brutes non-traitées). Si vous êtes bioinformaticien vous pourrez alors sans doute aller un peu plus loin en exploitant ces données, mais sinon il faudra passer par une autre entreprise dans un pays où la loi le permet.
Malgré ce frein attaché à la génomique personnelle, d'autres gros calibres comme Panasonic ou encore Sony ont décidé de créer des départements de recherche dans ce sens.
Ainsi Panasonic, assisté par l'IMEC (Belgique), s'est lancé il y a environ un an dans la production de puces de test à ADN (P‑TAS de son petit nom, évitez de le prononcer à la française…).
https://www.youtube.com/watch?v=oRWeD2VFh7w
La force de leur création est qu'elle permet d'identifier jusqu'à 6 SNPs différents en moins d'une heure. Les études scientifiques sur ce projet étant plutôt difficiles à trouver, nous avons demandé à Panasonic de nous les fournir et nous vous les avons regroupé dans une archive. Ainsi vous pourrez si vous souhaitez vous documenter un peu plus sur la chose, bien que la vidéo ci-dessus soit déjà assez complète.
Actuellement, le projet est encore en développement.
Pour ce qui est de Sony, non-content de cartonner avec leur nouvelle Playstation 4, ils ont eux aussi décidé d'établir une spin-off, P5 Inc, portée sur l'analyse de génomes et sur la médecine personnalisée. Ils sont notamment en collaboration avec Illumina et M3. Dans un premier temps Sony souhaite focaliser leurs recherches sur les maladies courantes au Japon et espère collecter les gènes de 1000 personnes pour la première année. Un peu à l'image du projet 1000Genomes.
On peut donc s'attendre à une riche actualité autour de la génomique dans les prochains mois.
Enfin, il y a aussi des établissements hospitaliers, comme le CHUV de Lausanne (Suisse), par exemple, qui se lancent aussi dans la brèche. Cet établissement propose depuis janvier 2013 à tous ses patients passant au moins une nuit dans le bâtiment hospitalier de participer à l'élaboration d'une gigantesque "biobanque". Le patient est libre d'accepter ou de refuser. Si un accord est conclu, son échantillon prélevé sera alors codé et le patient peut ensuite être prévenu si à l'avenir une recherche mettrait en évidence des résultats pertinents pour sa santé.
A ce jour, ce ne sont pas moins de 3000 patients qui ont accepté de donner leur échantillon. L'objectif est placé à 15 000 échantillons par an. Tout cela pour au final tenter d’accélérer le processus menant de la découverte de nouvelles thérapies à leur utilisation. C'est clairement un pas vers la médecine préventive.
Les start-ups sont aussi de la partie
Qui dit marché, dit émergence de sociétés exploitant le filon. Et ceci n'est pas uniquement destiné aux grandes entreprises déjà stables économiquement.
En effet de plus en plus de start-ups axées sur ce type de recherche génomique voient le jour. L'idée est bien entendu d'arriver à faire mieux que les gros (et les petits) le plus vite possible afin de proposer le produit et de le vendre sur l'ensemble du globe.
Le plus dur c'est d'avoir l'idée, celle qui sort du lot. Beaucoup de start-ups sont éphémères et ne dépassent pas l'année en terme de durée de vie. Pour celles qui restent, c'est qu'elles ont réussi à convaincre et que le potentiel est là.
Nous pouvons par exemple citer l'exemple de Skud Tech pour le coté cocorico. L'entreprise montpellierraine fut créée en 1999 (en plein dans la période de la course aux données) dans le but premier de commercialiser une technique de séquençage d'une cellule. En 2002, l'entreprise dégageait un chiffre d'affaire de 150 000 €.
Un autre exemple plus récent : la société Sophia Genetics qui est actuellement en plein essor sur le marché de la génomique personnelle. Ils travaillent entre autre avec le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) dans le but de référencer les génomes des patients et de permettre l'application d'une médecine personnalisée plus appropriée et moins coûteuse pour eux.
Ou encore QGel, également implanté à Lausanne dans le quartier de l'innovation de l'EPFL, où le co-fondateur de la société (Pr Matthias Lutolf) a inventé un gel reproduisant un type de collagène présent dans l'organisme humain. Cela permet donc la culture de cellules cancéreuses prélevées à partir d'un patient. Ainsi on gagne un temps considérable dans le traitement de la maladie et l'éventuel dosage et type des médicaments à fournir selon le cancer détecté et la personne touchée.
Il y aussi l'exemple du docteur Eran Elhaik de la Keck School of Medicine (USA) qui a développé l'algorithme de Geographic Population Structure prediction (GPS). Ce programme prend en entrée votre génome et est capable de situer géographiquement vos origines les plus lointaines (comprendre l'origine de vos gènes). Ainsi vous pourrez peut-être (probablement même) découvrir que vos racines ne sont pas vraiment là où vous le pensiez. Si vous avez votre génome brut sous la main, le programme complet est accessible publiquement ici et le workflow est expliqué ici. Cela risque de faire frémir plus d'un nationaliste.
Enfin, en Suisse encore et toujours l'équipe de Ioannis Xenarios développe un algorithme permettant la détection de la trisomie chez le fœtus. Le but étant de travailler uniquement à partir d'un échantillon sanguin de la mère, ce qui est nettement moins invasif et moins dangereux qu'une amniocentèse. Le seul coté négatif de la chose, c'est que pour le moment (et en Suisse du moins) ce n'est pas encore pris en charge par les assurances maladies (contrairement à l'amniocentèse).
L'évolution à long terme
Tous les exemples cités jusque là paraissent censés et réalisables. Ils permettraient de sauver/prolonger de nombreuses vies humaines. Mais comme chacun sait, les dérives ne sont jamais bien loin de toute belle découverte scientifique. Il faudra donc que les politiques acceptent ces avancées technologiques et ratifient des lois entourant tout cela.
Ce passage est nécessaire et doit être bien étudié. Généralement les comités d'éthique formés sont assez scrupuleux et ne laissent pas trop passer les projets un peu farfelus.
Néanmoins, dans certains pays encore le mot éthique ne signifie pas vraiment grand chose. Ça se jouera surtout à qui proposera le projet le plus rentable et le plus innovant.
En réalité la faiblesse est clairement là. Il faudrait alors former un véritable conseil des sages, avec un réel pouvoir de persuasion/dissuasion. Mais là je parle peut-être d'utopie…
Les risques
Comme d'habitude avec l'espèce humaine, les dérives et risques sont légions.
On pourrait donc penser directement à l'armement : nous sommes maintenant en mesure de soigner des individus par rapport à leur génome, pourquoi ne pas en tuer certains en utilisant le principe ? En effet, on pourrait très vite penser à un gaz létal uniquement pour une certaine partie de la population. Et malheureusement l'être humain n'a pas attendu que cet article soit écrit pour avoir l'idée.
Le cas le plus connu est celui du "Docteur La Mort", Wouter Basson de son vrai nom, qui a essayé en plein apartheid de développer une bactérie capable de tuer uniquement la population de couleur noire. Son équipe a également travaillé sur un vaccin capable de stériliser les femmes noires. Heureusement pour l'Histoire cette fois-ci, ses recherches n'ont pas abouti et furent dénoncées à la fin de l'apartheid. Mais pour la petite histoire, ce monsieur a été amnistié après 30 mois de procès et continue aujourd'hui d'officier au Cap en tant que cardiologue…
On peut aussi se pencher vers l'exemple que nous donne l'excellente fiction "Bienvenue à GATTACA". Si vous ne l'avez pas encore vu, c'est une erreur. Nous sommes ici dans un monde où l'on peut choisir le génotype de son futur enfant et ainsi espérer tendre vers une population dite "parfaite". Eh bien, on peut le dire dès à présent : la réalité a rattrapé la fiction. Des sociétés comme GenePartner vous proposent de trouver votre partenaire idéal par rapport à votre génome. En un mot, d'essayer de vous trouver la combinaison la plus appropriée en vue d'une reproduction. Il vous en coûtera 250 dollars d'inscription.
GenePeeks est un peu dans le même genre, sauf que là il y a même l'option "pas besoin de partenaire". Ses gamètes suffiront. Il en coûtera environ 1500 euros à la mère qui désirera concevoir son enfant de cette façon. Une version virtuelle du futur enfant sera d'abord proposée, et s'il y a "deal", le feu vert à la fécondation pourra être donné.
Il y a encore une fois deux façons de voir la chose : on fait ce genre de démarche pour éviter une maladie grave à son enfant, ou alors on fait cela dans le but d'obtenir un être "parfait". La deuxième optique est clairement plus dérangeante.
Enfin, tant qu'à rester dans la réalité-fiction : nous pouvons également citer "The Island". Ici la réalité n'a pas encore rattrapé la fiction, mais on pourrait très prochainement l'envisager. Si vous n'avez pas encore vu le film, sautez le paragraphe car je vais clairement parler de la fin. La fiction nous amène ici dans un monde confiné sous dôme car la Terre aurait été entièrement contaminée. Des êtres humains aux noms bizarres (Lincoln 6‑Echo et Jordan 2‑Delta pour ne citer qu'eux) évoluent et attendent patiemment d'être "tirés au sort" par une espèce de grande loterie pour recevoir le droit de quitter le dôme à destination de "l'Ile", seule parcelle de la Terre épargnée par la contamination. Ça c'était pour l'histoire, mais la réalité est tout autre : ces hommes et femmes vivant sous ce dôme géant ne sont ni plus ni moins que des clones vivants d'hommes et de femmes ayant souscrit à une assurance-organe. En cas de défaillance d'un rein, ou de dysfonctionnement du pancréas, l'assuré a la garantie de pouvoir être greffé quasiment tout de suite grâce au sacrifice de son clone. Peut-être y arriverons-nous un jour, l'éthique sera la clé.
Finalement, s'il n'y avait qu'une seule chose à retenir de tout cela ce serait qu'il faut accompagner le progrès et non pas le subir.
Merci à Wocka, Julien, ZaZo0o et Nolwenn pour leur relecture pré-publication.
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