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- Le blog participatif de bioinformatique francophone depuis 2012 -

Le jeu de la vie — comment un jeu peut-il aider la biologie ?

À la suite d'un pro­jet réa­li­sé durant ma deuxième année de mas­ter, et après avoir vu une excel­lente vidéo sur ce sujet, j'ai eu envie de par­ta­ger éga­le­ment ce jeu, aux règles simples, créant la com­plexi­té. Ce billet n'a aucun but exhaus­tif et j'espère qu'il appor­te­ra de nou­velles pistes de réflexion pour de futurs cher­cheurs ou bien des vété­rans de labo­ra­toires !

Le Jeu de la vie : Game of life

En 1970, John Hor­ton Conway, un pro­fes­seur de mathé­ma­tiques à Cam­bridge, crée une simu­la­tion mathé­ma­tique inti­tu­lée "Game of Life". Cette simu­la­tion pos­sède des carac­té­ris­tiques très simples à com­prendre, mais qui peut créer une com­plexi­té que l'on peine encore à appré­hen­der plei­ne­ment aujourd'hui. Cette der­nière, d'ailleurs, conti­nue de nour­rir des publi­ca­tions à ce jour (3416 articles depuis 10 ans. L'année der­nière, il y a eu 476 articles, et cette année, 382…).

C'est un jeu à zéro joueur qui pro­cède par géné­ra­tions suc­ces­sives. Vous vou­lez y jouer ? Rien de plus simple :

Pre­nez une grille en deux dimen­sions, qui s'étend théo­ri­que­ment à l'infini. Chaque car­ré (que l'on appel­le­ra cel­lule) com­po­sant cette grille peut être dans deux états : vivante ou morte.

Une situa­tion ini­tiale avant de lan­cer le jeu de la vie, réa­li­sé sur ce site.

En blanc, les cel­lules sont mortes. En noire, les cel­lules sont vivantes.

Une cel­lule pos­sède 8 voi­sines, qui sont soit ortho­go­nales, soit dia­go­nales. À chaque géné­ra­tion, chaque cel­lule est obser­vée dans son état actuel afin de savoir si elle peut naître, res­ter en vie ou mou­rir. Pour déter­mi­ner cela, il n'y a que deux règles à suivre :

  • Si une cel­lule morte pos­sède exac­te­ment 3 voi­sines vivantes, elle naît (la vie, en bonne quan­ti­té, créer la vie).
  • Si une cel­lule vivante pos­sède exac­te­ment 2 ou 3 voi­sines vivantes, elle reste en vie. Autre­ment, elle meurt (phé­no­mène de sur/​sous popu­la­tion).

Repre­nons notre exemple pré­cé­dent, et voyons ce qui se passe dans l'algorithme au cours de la pre­mière géné­ra­tion lorsqu'on lui pro­pose cette confi­gu­ra­tion ini­tiale.

  1. Les cel­lules en rouge vont naître. Elles pos­sèdent toutes les deux exac­te­ment 3 voi­sines vivantes, ce qui per­met de les faire naître.
  2. La cel­lule en bleu va mou­rir. Il n'y a aucune cel­lule vivante autour d'elle, donc selon la 2ᵉ règle, elle meurt.
  3. Les cel­lules entou­rées en vert res­tent en vie. Cha­cune pos­sède exac­te­ment 3 voi­sines vivantes, et se main­tient donc en vie.

Ain­si, la pro­chaine géné­ra­tion de notre exemple sera ain­si.

Après une géné­ra­tion, le résul­tat obte­nu, tou­jours sur ce site.

Aller, selon vous : à quoi res­sem­ble­ra la 3ᵉ géné­ra­tion ? Et la 4ᵉ ?

Quel niveau de complexité ?

On a vu les bases du Jeu de la vie. C'est bien, mais… que peut-on faire de plus ?

Eh bien, de nom­breuses per­sonnes, pas for­cé­ment liées à John H. Conway, ont déci­dé de contri­buer à ce sujet un peu fou : celui de décou­vrir le plus de struc­tures pos­sible que le jeu peut géné­rer. On a donc des struc­tures stables (comme le car­ré qu'on a vu pré­cé­dem­ment), des oscil­la­teurs, ou encore des auto­mates cel­lu­laires, que l'on va sim­ple­ment appe­ler vais­seaux.
Atten­dez… des vais­seaux ?

Voi­ci le gli­der, le plus petit vais­seau. (CC BY-SA Toxic)

On peut créer des choses qui se déplacent toutes seules, c'est déjà impres­sion­nant. John H. Conway, au début, ne pen­sait pas que des struc­tures pou­vaient gran­dir indé­fi­ni­ment. Il a mis en place une récom­pense de 50 $ pour toute per­sonne arri­vant à le contre­dire ou à prou­ver sa pen­sée.

Et ce prix, il a été gagné ! Par une équipe au Mas­sa­chu­setts avec le "Gos­per gli­der gun". Donc, on com­mence avec les vais­seaux, des gli­ders, et… pour­quoi ne pas en pro­duire sans fin ?

Voi­ci le Gos­per canon gli­der. (CC BY-SA Lucas Viei­ra)

En prin­cipe, il y a deux oscil­la­teurs qui se ren­contrent et leur ren­contre pro­duit les gli­ders, et ce, de manière infi­nie. Les oscil­la­teurs sont des struc­tures qui mettent une ou plu­sieurs géné­ra­tions avant de reve­nir à leur état d'origine.

Je pense que les plus obser­va­teurs d'entre vous (ou ceux qui baignent dedans) ont remar­qué que ce canon est pos­sible uni­que­ment grâce à la struc­ture stable la plus basique : le car­ré. Cette géné­ra­tion à l'infini de gli­ders est pos­sible grâce à cette struc­ture. Cepen­dant, on peut remar­quer que ce car­ré a deux états… Celui où il y a 4 cel­lules en vie, et celui où il y a une case morte. Est-ce que… Cela veut dire que l'on peut sto­cker deux états ? Comme…du binaire ?

Atten­dez, atten­dez, atten­dez… Sto­cker des infor­ma­tions binaires ? Comme dans un disque dur ? Donc par exten­sions, on pourrait…faire des boucles OR, XOR, AND… ?

Oui. On peut créer des ordi­na­teurs dans le jeu de la vie de Conway. Ceci indique que le jeu de la vie de Conway est Turing com­plet : il a un pou­voir expres­sif équi­valent à celui d'une machine de Turing… donc d'un ordi­na­teur.

Et donc, le jeu de la vie a pu être créé… dans le jeu de la vie de Conway. La boucle est ain­si bou­clée.

Modélisation de la vie

Main­te­nant que vous avez cer­tains élé­ments du jeu de la vie de Conway, qui est une étude pure­ment infor­ma­tique, est-ce qu'il est pos­sible de l'utiliser dans d'autres domaines ? On l'utilise à la base comme jeu, et on peut modé­li­ser des ordi­na­teurs, peut-être peut-on modé­li­ser d'autres choses ?

Est-ce que le terme de soupe pri­mor­diale vous parle ?

À gauche une run du pat­tern "soup" . À droite, une repré­sen­ta­tion de la soupe pri­mor­diale (CC BY-NC Ashok Bogha­ni).

La soupe pri­mor­diale est une hypo­thèse sur l'origine de la vie sur Terre : au com­men­ce­ment de notre pla­nète, il n'y avait qu'une immense soupe conte­nant divers nutri­ments. De ce mélange pri­mor­dial ont émer­gé des struc­tures et des méca­nismes infi­ni­ment com­plexes : la vie. Ce phé­no­mène peut être expli­qué par le prin­cipe d'auto-organisation, qui est la capa­ci­té des com­po­sants simples à for­mer des struc­tures com­plexes de manière auto­nome, sans inter­ven­tion exté­rieure.

Grâce à ce prin­cipe, les molé­cules simples de la soupe pri­mor­diale ont pu inter­agir et s'agencer spon­ta­né­ment, don­nant nais­sance à des sys­tèmes vivants sophis­ti­qués.

Cette idée de déve­lop­pe­ment de la vie trouve un paral­lèle fas­ci­nant dans le jeu de la vie. Après tout, la plu­part des struc­tures trou­vées à ce jour ont été soit réflé­chies, soit trou­vées à par­tir de la soupe. Les règles et les condi­tions basiques per­mettent la créa­tion d'éléments et de méca­nismes très éla­bo­rés grâce au prin­cipe d'auto-organisation.

Par exemple, avec quelques règles de sur­vie et de repro­duc­tion, le jeu de la vie peut géné­rer des motifs très sophis­ti­qués qui rap­pellent la diver­si­té et la com­plexi­té des formes de vie issues de la soupe pri­mor­diale. Ce jeu illustre com­ment des inter­ac­tions simples peuvent engen­drer des com­por­te­ments com­plexes et auto-orga­ni­sés, simi­laires à ceux obser­vés dans la nature.

Ain­si, nous avons une modé­li­sa­tion de la soupe pri­mor­diale, un sys­tème ne sui­vant aucune logique autre que la sienne, mon­tré par un pro­ces­sus qui ne repose que sur la logique. C'est beau, non ?

La vie artificielle…

Est-il pos­sible d'aller encore plus loin ? Oui bien sûr que oui, la vraie ques­tion est : Où est-ce que nous ne pour­rions pas aller ?

Est-ce que… le terme de vie arti­fi­cielle vous parle ? C'est un domaine de recherche inter­dis­ci­pli­naire qui explore les pro­prié­tés et les com­por­te­ments des sys­tèmes vivants à tra­vers la simu­la­tion infor­ma­tique. Son objec­tif prin­ci­pal est de com­prendre les méca­nismes fon­da­men­taux de la vie, en recréant des sys­tèmes qui pré­sentent des carac­té­ris­tiques vivantes dans des envi­ron­ne­ments arti­fi­ciels.

Pour étu­dier cela, on peut uti­li­ser les auto­mates cel­lu­laires (Rap­pe­lez-vous : Les Vais­seaux !), et une adap­ta­tion du jeu de la vie de Conway. La cel­lule n'est pas uni­que­ment morte (0) ou vivante (1) mais peut exis­ter dans une infi­ni­té d’états entre ces deux seuils, ajou­tant ain­si une intri­ca­tion au sys­tème. Cela nous per­met d'observer com­ment ce sys­tème évo­lue et s'adapte à son envi­ron­ne­ment.

Le mou­ve­ment d'un pla­neur dans Lenia (CC BY-SA Brid­ge­ram)

L'un des objec­tifs prin­ci­paux de cette étude est de com­prendre si de nou­velles formes et struc­tures peuvent émer­ger dans ce contexte élar­gi. Il per­met éga­le­ment d'analyser les inter­ac­tions entre les cel­lules : com­ment se forment-elles et mènent-elles à des com­por­te­ments com­plexes et à l'apparition de pro­prié­tés nova­trices ? Ces ques­tions sont essen­tielles pour vali­der ou inva­li­der des hypo­thèses bio­lo­giques à tra­vers des simu­la­tions infor­ma­tiques.

…pour étudier la vie biologique

En uti­li­sant ce cadre, nous ouvrons la porte à de nom­breuses pers­pec­tives de recherche.

Par exemple, com­ment des com­por­te­ments sophis­ti­qués émergent de règles épu­rées ? Nous avons vu des struc­tures, des vais­seaux qui peuvent trou­ver leurs ana­lo­gies avec le cytos­que­lette et les macro­phages res­pec­ti­ve­ment. Mais com­ment s'organisent-ils ? Quel est l'environnement qui per­met un tel déve­lop­pe­ment ? Com­ment est-ce que…"la vie" est arri­vée à la conclu­sion qu'il fal­lait ces méca­nismes pour sur­vivre ?

C'est en posant des ques­tions que la recherche pro­gresse. Cepen­dant, sans moyens d'observation et de test, ces ques­tions demeurent de simples hypo­thèses. Cette approche infor­ma­tique apporte une solu­tion pré­cieuse à ce pro­blème en per­met­tant de géné­rer des hypo­thèses tes­tables en labo­ra­toire.

Elle offre éga­le­ment un espace de simu­la­tion sophis­ti­qué, où il est pos­sible d'observer des phé­no­mènes éla­bo­rés et dif­fi­ciles à étu­dier par des méthodes tra­di­tion­nelles. Grâce à ces simu­la­tions, les cher­cheurs peuvent explo­rer des scé­na­rios variés, affi­ner leurs hypo­thèses et conce­voir des expé­riences plus ciblées, ren­dant ain­si la recherche plus effi­cace et inno­vante.

Ain­si, un peu à l'image du jeu de la vie de Conway, ce domaine d'étude nous invite à regar­der au-delà de ce que nous connais­sons et à tou­jours défier la com­plexi­té. En étu­diant la vie arti­fi­cielle, nous pour­rions dévoi­ler des tré­sors insoup­çon­nés de la nature, sur­gis­sant d'une sim­pli­ci­té ini­tiale pour révé­ler une com­plexi­té infi­nie.

On ne dirait pas un pois­son ? Pour moi, c'est un pois­son.

Mer­ci d'avoir lu ce petit billet sur le Jeu de la vie de Conway. Il y a tel­le­ment de choses dont je n'ai pas par­lé qu'il me fau­drait au moins 5 ou 6 billets pour pou­voir tout expli­quer sur le jeu de la vie de Conway. Si vous êtes curieux, je vous invite à en savoir plus par ici.

Mer­ci infi­ni­ment à Gwe­naelle, aze­rin, Mathu­rin, Aze­rin,… pour la relec­ture !

Et mer­ci énor­mé­ment aux admins, plus par­ti­cu­liè­re­ment à ZaZoOo !

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