Mon titre étant volontairement provocateur je vais commencer par le modérer et l'expliquer.
Vous n'avez pas forcément besoin de votre blog, vous avez besoin d'un espace ou vous pouvez écrire des textes structurés avec des tableaux, des images et la possibilité de les rendre publics facilement. Un dépôt Github comme un compte Twitter peuvent ainsi convenir. Si ces plateformes peuvent apparaître comme ayant des contraintes différentes, elles sont en réalité complémentaires. Dans la suite de l'article quand je dirai blog vous pourrez quasiment toujours le remplacer par twitter/github/la solution que vous adorez mais que j'ai oublié de citer.
Quand je dis scientifique, je veux dire s'adressant à votre communauté scientifique. En effet, en bio-informatique vous ne serez ainsi pas obligés de réexpliquer ce qu'est le séquençage ou une matrice d'expression de gènes à chaque article. Ce n'est pas un espace de vulgarisation mais bien un espace de discussion entre experts de votre domaine de recherche spécifique.
Si la vulgarisation est importante et fait partie de notre travail, elle ne doit cependant pas venir interférer avec des articles techniques. Ainsi, si vous vulgarisez l'assemblage des génomes avec des long reads, mais que vous discutez aussi sur les modèles d'erreur des séquenceurs nanopore R9.4 / pacbio sequel au même endroit, le public ne saura pas à quoi s'attendre quand vous posterez un nouvel article. Il faut séparer l'activité de vulgarisation de l'activité de communication avec vos pairs, mais aussi inviter les gens à aller voir l'autre contenu si cela les intéresse.
Maintenant que j'ai expliqué mon titre je vais tenter de vous expliquer pourquoi selon moi il est important quand on est scientifique d'avoir un espace d'expression libre pour s'adresser à ses pairs.
Des chercheurs qui cherchent on en trouve mais des chercheurs qui trouvent on en cherche
Je parle évidemment de trouver des idées. On va supposer dans un premier temps que vous n'ayez pas de blog et que vous ne soyez qu'un observateur. Vous ne participez donc peu ou pas aux discussions.
Imaginons : vous arrivez au travail à 11h (parce que vous avez travaillé jusqu'à 2 heure du matin le jour même) et, en attendant d'aller manger avec les collègues, vous allez traîner sur votre Twitter professionnel pour vous auto-persuader que vous avez un peu bossé ce matin. Et là vous voyez le tweet d'un collègue qui parle d'un problème scientifique/technique. Plusieurs choix s'offrent à vous :
- Soit vous compatissez car vous n'avez pas la solution à son problème.
- Soit vous savez que son problème a déjà été résolu par un papier d'informatique théorique publié en hongrois en 1950 par un génie oublié.
- Soit vous trouvez le problème intéressant et décidez de vous atteler à la résolution de celui-ci. Au bout de 6 mois vous lisez une dernière fois votre article avant de l'envoyer à l'éditeur. Vous avez aidé votre collègue et repoussé les frontières de la connaissance. Félicitations !
C'est le troisième choix qui nous intéresse. Ici j'ai parlé de Twitter car c'est, il me semble (je suis biaisé car j'ai un compte twitter @pierre_marijon), un mode de communication informelle privilégié par les chercheurs à l'heure actuelle. Mais ce problème aurait pu être exposé dans un article de blog, dans une issue d'une forge logicielle, dans un courriel envoyé à une liste de diffusion thématique, etc…
Grâce à un réseau social ou des pairs scientifique avec qui vous communiquez, vous avez obtenu une publication et fait gonfler votre h‑index. Vous me direz, on aurait pu faire la même chose si le problème avait été exposé durant une conférence ou dans un papier scientifique classique. Mais :
- le public qui assiste à une conférence est relatif par rapport au public qui peut être touché par un tweet
- des conférences scientifiques dans votre domaine il n'y en a pas tous les jours
- écrire une publication ou une présentation à une conférence demande beaucoup de temps
Bref c'est toujours plus long que de faire un tweet et il y a plus de possibilités que l'information ne vous atteigne pas.
En lisant les tweets/articles de blog/… de vos pairs vous pourriez trouver des problèmes que vous ne connaissiez pas, les résoudre et aider votre communauté tout en faisant reculer l'ignorance.
Ça vous permet de tester vos idées
Revenons 5 mois et 3 semaines en arrière, vous avez trouvé une solution au problème de votre collègue, vous avez monté votre script et l'avez validé sur 2 jeux synthétiques que vous connaissez par cœur. Ce brouillon est élégant mais c'est pas suffisant pour faire une publication scientifique de qualité, un chef d'œuvre, la découverte qui vous ouvrira les portes de l'académie Nobel. Pour espérer avoir tous cela il va falloir bosser plus que ça.
Mais en même temps vous vous demandez si ce problème est vraiment intéressant, si ça se trouve vous n'êtes que deux à le rencontrer et/ou dans un mois une nouvelle méthode de biochimie rendra inutile votre outil. En bref, est-ce vraiment la peine de passer du temps à écrire une publication scientifique qui ne sera peut-être jamais lue ? Voir jamais publiée !
C'est là qu'avoir votre propre blog va vous aider !
Vous allez pouvoir écrire un billet de blog qui va ressembler à un petit article scientifique mais sans les contraintes. Pas besoin de blinder vos évaluations, de mettre en avant vos résultats, vous pouvez vous concentrer sur qui compte vraiment, la méthode et les limitations de votre solution. Les choses qui sont vraiment intéressantes mais qui sont malheureusement parfois peu mises en avant dans une publication classique.
Lorsque vous allez publier votre article de blog, et si vous avez des retours positifs, c'est gagné ! Vous pouvez continuer à bosser dessus et peut-être que l'on vous proposera de nouvelles applications à votre outil ou vous suggérera-t-on des améliorations.
Et si vous avez comme retour quelqu'un qui vous dit que ce problème est en fait résolu par un papier hongrois depuis 1950 que personne ne connaît, des retours négatifs ou pire pas de retour du tout : ce n'est pas grave. Vous avez perdu moins de temps que si vous aviez rédigé une vraie publication.
De plus, il se peut que dans 2 ans un doctorant talentueux se rende compte qu'en modifiant un peu votre idée elle pourrait devenir géniale. Il se peut alors qu'il écrive un très bon papier en citant votre article de blog comme source. Vous n'avez pas tout perdu.
Mais attention ce n'est pas parce que personne ne lira votre billet de blog que la publication ne marchera pas. L'inverse est aussi vrai d'ailleurs, mais c'est déjà un indicateur.
Ça permet de publier des résultats négatifs
Vous le savez, il est très dur de publier des résultats négatifs. Et c'est un problème car on perd régulièrement du temps de recherche à prouver à nouveau que des choses sont fausses alors que cela a déjà été fait mais jamais rendu public.
Avec un blog vous êtes l'éditeur, c'est vous qui décidez ce qui est publié. Vous pouvez donc publier vos résultats négatifs et ainsi faire gagner du temps à la recherche. Félicitations.
Même si ce n'est pas la solution idéale pour la Recherche voyons ça comme une preuve de concept/un hot-fix pour montrer à nos (futurs) employeurs/financeurs/donneurs d'ordre que les résultats négatifs sont intéressants pour nos communautés. Cela montre qu'ils devraient être publiés dans des journaux plus classiques.
Le blog ne fait pas le café tout de même
Oui malheureusement je ne viens pas avec une solution miracle qui résoudra tous les problèmes de l'humanité, désolé :
- Il va falloir héberger un blog mais à l'heure actuelle vous disposez de nombreuses solutions gratuites. On peut citer les pages Github, les pages de votre laboratoire/équipe, un blog communautaire mais d'autres solutions existent (vous pouvez indiquer la vôtre en commentaire !).
- Vous engagez votre réputation en écrivant ces lignes, faites attention à ce que vous écrivez, notamment sur Twitter où le conflit peut arriver très vite. Mais si vous êtes prudent tout ira bien. Vous faire relire, même si ça prend du temps et si ce n'est pas toujours agréable, peut permettre de modérer/améliorer le propos.
- Il vous faudra faire attention à ne pas brouiller le signal avec d'autres sujets. Ce qui intéresse vos pairs c'est votre recherche, pas votre recette de la tarte à la rhubarbe, même si elle est délicieuse j'en suis sûr.
- Vous ne serez pas forcément lu, vous serez peut-être noyé dans le bruit d'Internet, mais c'est un peu le même risque avec les publications scientifiques classiques. N'hésitez pas faire chauffer les partages sur les réseaux sociaux/forum/mailing list, tout en restant mesuré : ne spammez pas les gens et ciblez bien les communautés. N’hésitez pas à demander de l'aide aux copains pour augmenter la portée de votre message.
- Vous pourriez vous faire voler votre idée même si ça me semble improbable. Quelqu'un pourrait la récupérer, arriver plus vite que vous à créer une publication, et récupérer la gloire et la fortune à votre place. Mais vous saurez au fond de votre cœur que la science a quand même avancé grâce à vous et c'est ça qui compte.
Conclusion
Un blog ne remplacera cependant pas la publication scientifique classique, ne serait-ce que parce qu'on mesure notre efficacité en tant que chercheur par le nombre de publications et le nombre de fois que celles-ci sont citées. Mais aussi parce que ce n'est pas le même format, que votre blog n'est pas forcément peer-reviewé, qu'il sera peut-être fermé l'année prochaine alors qu'une publication perdure plus longtemps. Faites aussi attention à ne pas passer votre temps à vous occuper de votre blog, vous avez d'autres missions : vulgarisation, recherche, enseignement, …
Mais ça peut permettre (avec les autres blogs et réseaux sociaux) d'accélérer la recherche de votre domaine, d'améliorer sa qualité, de faciliter les discussions, de faire vivre votre domaine en somme. Enfin, vous n'avez pas besoin de faire des articles toutes les semaines pour entretenir le blog. Ne l'utilisez que quand vous en ressentez le besoin !
Merci aux relecteurs : Gwenaëlle, Plopp, Sylvain, ZaZo0o et Yoann.
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