Pourquoi vous avez besoin d'un blog scientifique !

Mon titre étant volon­tai­re­ment pro­vo­ca­teur je vais com­men­cer par le modé­rer et l'expliquer.

Vous n'avez pas for­cé­ment besoin de votre blog, vous avez besoin d'un espace ou vous pou­vez écrire des textes struc­tu­rés avec des tableaux, des images et la pos­si­bi­li­té de les rendre publics faci­le­ment. Un dépôt Github comme un compte Twit­ter peuvent ain­si conve­nir. Si ces pla­te­formes peuvent appa­raître comme ayant des contraintes dif­fé­rentes, elles sont en réa­li­té com­plé­men­taires. Dans la suite de l'article quand je dirai blog vous pour­rez qua­si­ment tou­jours le rem­pla­cer par twitter/​github/​la solu­tion que vous ado­rez mais que j'ai oublié de citer.

Quand je dis scien­ti­fique, je veux dire s'adressant à votre com­mu­nau­té scien­ti­fique. En effet, en bio-infor­ma­tique vous ne serez ain­si pas obli­gés de réex­pli­quer ce qu'est le séquen­çage ou une matrice d'expression de gènes à chaque article. Ce n'est pas un espace de vul­ga­ri­sa­tion mais bien un espace de dis­cus­sion entre experts de votre domaine de recherche spé­ci­fique.

On m'a deman­dé d'ajouter une image pour illus­trer l'article, du coup j'ai mis une cap­ture d'écran de mon blog : http://​blog​.pierre​.mari​jon​.fr (l'auto pro­mo ça ne fait jamais de mal)


Si la vul­ga­ri­sa­tion est impor­tante et fait par­tie de notre tra­vail, elle ne doit cepen­dant pas venir inter­fé­rer avec des articles tech­niques. Ain­si, si vous vul­ga­ri­sez l'assemblage des génomes avec des long reads, mais que vous dis­cu­tez aus­si sur les modèles d'erreur des séquen­ceurs nano­pore R9.4 /​ pac­bio sequel au même endroit, le public ne sau­ra pas à quoi s'attendre quand vous pos­te­rez un nou­vel article. Il faut sépa­rer l'activité de vul­ga­ri­sa­tion de l'activité de com­mu­ni­ca­tion avec vos pairs, mais aus­si invi­ter les gens à aller voir l'autre conte­nu si cela les inté­resse.

Main­te­nant que j'ai expli­qué mon titre je vais ten­ter de vous expli­quer pour­quoi selon moi il est impor­tant quand on est scien­ti­fique d'avoir un espace d'expression libre pour s'adresser à ses pairs.

Des chercheurs qui cherchent on en trouve mais des chercheurs qui trouvent on en cherche

Je parle évi­dem­ment de trou­ver des idées. On va sup­po­ser dans un pre­mier temps que vous n'ayez pas de blog et que vous ne soyez qu'un obser­va­teur. Vous ne par­ti­ci­pez donc peu ou pas aux dis­cus­sions.

Ima­gi­nons : vous arri­vez au tra­vail à 11h (parce que vous avez tra­vaillé jusqu'à 2 heure du matin le jour même) et, en atten­dant d'aller man­ger avec les col­lègues, vous allez traî­ner sur votre Twit­ter pro­fes­sion­nel pour vous auto-per­sua­der que vous avez un peu bos­sé ce matin. Et là vous voyez le tweet d'un col­lègue qui parle d'un pro­blème scientifique/​technique. Plu­sieurs choix s'offrent à vous :

  • Soit vous com­pa­tis­sez car vous n'avez pas la solu­tion à son pro­blème.
  • Soit vous savez que son pro­blème a déjà été réso­lu par un papier d'informatique théo­rique publié en hon­grois en 1950 par un génie oublié.
  • Soit vous trou­vez le pro­blème inté­res­sant et déci­dez de vous atte­ler à la réso­lu­tion de celui-ci. Au bout de 6 mois vous lisez une der­nière fois votre article avant de l'envoyer à l'éditeur. Vous avez aidé votre col­lègue et repous­sé les fron­tières de la connais­sance. Féli­ci­ta­tions !

C'est le troi­sième choix qui nous inté­resse. Ici j'ai par­lé de Twit­ter car c'est, il me semble (je suis biai­sé car j'ai un compte twit­ter @pierre_marijon), un mode de com­mu­ni­ca­tion infor­melle pri­vi­lé­gié par les cher­cheurs à l'heure actuelle. Mais ce pro­blème aurait pu être expo­sé dans un article de blog, dans une issue d'une forge logi­cielle, dans un cour­riel envoyé à une liste de dif­fu­sion thé­ma­tique, etc…

Grâce à un réseau social ou des pairs scien­ti­fique avec qui vous com­mu­ni­quez, vous avez obte­nu une publi­ca­tion et fait gon­fler votre h‑index. Vous me direz, on aurait pu faire la même chose si le pro­blème avait été expo­sé durant une confé­rence ou dans un papier scien­ti­fique clas­sique. Mais :

  • le public qui assiste à une confé­rence est rela­tif par rap­port au public qui peut être tou­ché par un tweet
  • des confé­rences scien­ti­fiques dans votre domaine il n'y en a pas tous les jours
  • écrire une publi­ca­tion ou une pré­sen­ta­tion à une confé­rence demande beau­coup de temps

Bref c'est tou­jours plus long que de faire un tweet et il y a plus de pos­si­bi­li­tés que l'information ne vous atteigne pas.

En lisant les tweets/​articles de blog/​… de vos pairs vous pour­riez trou­ver des pro­blèmes que vous ne connais­siez pas, les résoudre et aider votre com­mu­nau­té tout en fai­sant recu­ler l'ignorance.

Ça vous permet de tester vos idées

Reve­nons 5 mois et 3 semaines en arrière, vous avez trou­vé une solu­tion au pro­blème de votre col­lègue, vous avez mon­té votre script et l'avez vali­dé sur 2 jeux syn­thé­tiques que vous connais­sez par cœur. Ce brouillon est élé­gant mais c'est pas suf­fi­sant pour faire une publi­ca­tion scien­ti­fique de qua­li­té, un chef d'œuvre, la décou­verte qui vous ouvri­ra les portes de l'académie Nobel. Pour espé­rer avoir tous cela il va fal­loir bos­ser plus que ça.

Mais en même temps vous vous deman­dez si ce pro­blème est vrai­ment inté­res­sant, si ça se trouve vous n'êtes que deux à le ren­con­trer et/​ou dans un mois une nou­velle méthode de bio­chi­mie ren­dra inutile votre outil. En bref, est-ce vrai­ment la peine de pas­ser du temps à écrire une publi­ca­tion scien­ti­fique qui ne sera peut-être jamais lue ? Voir jamais publiée !

C'est là qu'avoir votre propre blog va vous aider !

Vous allez pou­voir écrire un billet de blog qui va res­sem­bler à un petit article scien­ti­fique mais sans les contraintes. Pas besoin de blin­der vos éva­lua­tions, de mettre en avant vos résul­tats, vous pou­vez vous concen­trer sur qui compte vrai­ment, la méthode et les limi­ta­tions de votre solu­tion. Les choses qui sont vrai­ment inté­res­santes mais qui sont mal­heu­reu­se­ment par­fois peu mises en avant dans une publi­ca­tion clas­sique.

Lorsque vous allez publier votre article de blog, et si vous avez des retours posi­tifs, c'est gagné ! Vous pou­vez conti­nuer à bos­ser des­sus et peut-être que l'on vous pro­po­se­ra de nou­velles appli­ca­tions à votre outil ou vous sug­gé­re­ra-t-on des amé­lio­ra­tions.
Et si vous avez comme retour quelqu'un qui vous dit que ce pro­blème est en fait réso­lu par un papier hon­grois depuis 1950 que per­sonne ne connaît, des retours néga­tifs ou pire pas de retour du tout : ce n'est pas grave. Vous avez per­du moins de temps que si vous aviez rédi­gé une vraie publi­ca­tion.

De plus, il se peut que dans 2 ans un doc­to­rant talen­tueux se rende compte qu'en modi­fiant un peu votre idée elle pour­rait deve­nir géniale. Il se peut alors qu'il écrive un très bon papier en citant votre article de blog comme source. Vous n'avez pas tout per­du.

Mais atten­tion ce n'est pas parce que per­sonne ne lira votre billet de blog que la publi­ca­tion ne mar­che­ra pas. L'inverse est aus­si vrai d'ailleurs, mais c'est déjà un indi­ca­teur.

Ça permet de publier des résultats négatifs

Vous le savez, il est très dur de publier des résul­tats néga­tifs. Et c'est un pro­blème car on perd régu­liè­re­ment du temps de recherche à prou­ver à nou­veau que des choses sont fausses alors que cela a déjà été fait mais jamais ren­du public.

Avec un blog vous êtes l'éditeur, c'est vous qui déci­dez ce qui est publié. Vous pou­vez donc publier vos résul­tats néga­tifs et ain­si faire gagner du temps à la recherche. Féli­ci­ta­tions.

Même si ce n'est pas la solu­tion idéale pour la Recherche voyons ça comme une preuve de concept/​un hot-fix pour mon­trer à nos (futurs) employeurs/​financeurs/​donneurs d'ordre que les résul­tats néga­tifs sont inté­res­sants pour nos com­mu­nau­tés. Cela montre qu'ils devraient être publiés dans des jour­naux plus clas­siques.

Le blog ne fait pas le café tout de même

Oui mal­heu­reu­se­ment je ne viens pas avec une solu­tion miracle qui résou­dra tous les pro­blèmes de l'humanité, déso­lé :

  • Il va fal­loir héber­ger un blog mais à l'heure actuelle vous dis­po­sez de nom­breuses solu­tions gra­tuites. On peut citer les pages Github, les pages de votre laboratoire/​équipe, un blog com­mu­nau­taire mais d'autres solu­tions existent (vous pou­vez indi­quer la vôtre en com­men­taire !).
  • Vous enga­gez votre répu­ta­tion en écri­vant ces lignes, faites atten­tion à ce que vous écri­vez, notam­ment sur Twit­ter où le conflit peut arri­ver très vite. Mais si vous êtes pru­dent tout ira bien. Vous faire relire, même si ça prend du temps et si ce n'est pas tou­jours agréable, peut per­mettre de modérer/​améliorer le pro­pos.
  • Il vous fau­dra faire atten­tion à ne pas brouiller le signal avec d'autres sujets. Ce qui inté­resse vos pairs c'est votre recherche, pas votre recette de la tarte à la rhu­barbe, même si elle est déli­cieuse j'en suis sûr.
  • Vous ne serez pas for­cé­ment lu, vous serez peut-être noyé dans le bruit d'Internet, mais c'est un peu le même risque avec les publi­ca­tions scien­ti­fiques clas­siques. N'hésitez pas faire chauf­fer les par­tages sur les réseaux sociaux/​forum/​mailing list, tout en res­tant mesu­ré : ne spam­mez pas les gens et ciblez bien les com­mu­nau­tés. N’hésitez pas à deman­der de l'aide aux copains pour aug­men­ter la por­tée de votre mes­sage.
  • Vous pour­riez vous faire voler votre idée même si ça me semble impro­bable. Quelqu'un pour­rait la récu­pé­rer, arri­ver plus vite que vous à créer une publi­ca­tion, et récu­pé­rer la gloire et la for­tune à votre place. Mais vous sau­rez au fond de votre cœur que la science a quand même avan­cé grâce à vous et c'est ça qui compte.

Conclusion

Un blog ne rem­pla­ce­ra cepen­dant pas la publi­ca­tion scien­ti­fique clas­sique, ne serait-ce que parce qu'on mesure notre effi­ca­ci­té en tant que cher­cheur par le nombre de publi­ca­tions et le nombre de fois que celles-ci sont citées. Mais aus­si parce que ce n'est pas le même for­mat, que votre blog n'est pas for­cé­ment peer-reviewé, qu'il sera peut-être fer­mé l'année pro­chaine alors qu'une publi­ca­tion per­dure plus long­temps. Faites aus­si atten­tion à ne pas pas­ser votre temps à vous occu­per de votre blog, vous avez d'autres mis­sions : vul­ga­ri­sa­tion, recherche, ensei­gne­ment, …

Mais ça peut per­mettre (avec les autres blogs et réseaux sociaux) d'accélérer la recherche de votre domaine, d'améliorer sa qua­li­té, de faci­li­ter les dis­cus­sions, de faire vivre votre domaine en somme. Enfin, vous n'avez pas besoin de faire des articles toutes les semaines pour entre­te­nir le blog. Ne l'utilisez que quand vous en res­sen­tez le besoin !

Mer­ci aux relec­teurs : Gwe­naëlle, Plopp, Syl­vain, ZaZo0o et Yoann.



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Commentaires

5 réponses à “Pourquoi vous avez besoin d'un blog scientifique !”

  1. Avatar de Pierre-Edouard Guerin
    Pierre-Edouard Guerin

    Le blog me parait effec­ti­ve­ment une neces­si­té pour com­mu­ni­quer des reflexions de façon plus per­enne, per­son­na­li­sée et com­plète. Per­son­nel­le­ment je n'ai pas encore sau­té le pas du blog per­son­nel mais c'est vrai que les solu­tions sont nom­breuses : git­page, word­press, fra­me­work, site en JS "from the scratch".… dif­fi­cile de s'arrêter sur un choix.

    En tout cas ton blog est très réus­si, il sert à la fois de CV en ligne et reserve une belle part pour les sujets qui t'interessent et peut te ser­vir de sup­port pour tes com­mu­ni­ca­tions sur les réseaux sociaux.

    1. Avatar de Pierre Marijon
      Pierre Marijon

      Mer­ci pour ton com­men­taire.

      J'ai per­son­nel­le­ment une pas­sion pour les géné­ra­teurs de blog sta­tique, mais oui il existe plein de solu­tion plus ou moins simple a utilisés/​personnalisé/​hébergé, mais quand il faut faire un choix sa peut-être dure.

      Mer­ci pour le com­pli­ment et sa me per­met de remettre une couche. Il faut faire très très atten­tion a l'image que le blog, site per­so, twit­ter pro pré­sente de vous.

      Pierre

      1. J'ai fina­le­ment fran­chi le pas grâce à ton article, mer­ci encore pour tes conseils voi­ci donc mon blog "en sta­tic" : https://​gue​rinpe​.com

        C'était assez inter­es­sant d'explorer ces tech­no­lo­gies que je ne connais­sais pas (j'étais res­té à word­press jus­te­ment) et qui dans le contexte d'un petit blog per­son­nel sont très satis­fai­sant. Je ne m'en ser­vi­rais pas pour une com­mu­nau­té par exemple. En tout cas la démarche m'a beau­coup plu.

        Main­te­nant res­ter à publier. J'ai remar­qué que tu publiais regu­liè­re­ment sur ton blog. Tes articles sont plu­tôt longs,techniques et très détaillés et com­plets tout en étant bien écrit.

        Moi même je com­mence à écrire des articles (notam­ment un pour bioin­fo-fr jus­te­ment) et je trouve ça plu­tôt dif­fi­cile.

        Com­ment trouves-tu le temps et l'energie pour écrire tes articles ? Tu as une orga­ni­sa­tion par­ti­cu­lière ? Par exemple "tous les deuxième ven­dre­di du mois j'écris un article" ou c'est plu­tôt ins­tinc­tif ?

  2. Avatar de albodrug

    Point de vu inter­es­sant ! Je pense que le blog scien­ti­fique est un inter­me­diaire appro­priee entre les forums d'aides type sta­cko­ver­flow et la publi­ca­tion scien­ti­fique. Cela per­met aus­si a cer­tains experts de par­ta­ger leurs connais­sances sans for­ce­ment repondre a une ques­tion pre­cise, ce qui est sou­vent contrai­gnant.

    Cheers,
    Alex

  3. Ravis d'avoir lan­cé une autre voca­tion au plai­sir de te lire.

    Je publie régu­liè­re­ment ? J'ai plus tôt l'impression de l'inverse j'ai 4 blog post en un ans et demi et répar­tie un peut n'importe com­ment.

    Géné­ra­le­ment un billet de blog est crée quand je ren­contre un pro­blème que je le résout et que je trouve inté­res­sant de le par­ta­gé. Du coup des que j'ai trou­vé un pro­blème, je le rés­sout ou pas, j'écris le billet de blog.

    J'ai la chance d'avoir un tra­vail ou la rédac­tion de ce type de billet de blog fais par­tie de mon tra­vail, c'est une pro­duc­tion scien­ti­fique comme une autre qui peut ame­ner a des publi­ca­tions scien­ti­fique c'est plus ou moins le cas pour mon billet sur les fichier PAF.

    La par­tie la plus longue au final c'est la relec­ture qui amé­liore gran­de­ment la qua­li­té des billets, je remer­cie vrai­ment toutes ces per­sonnes qui m'aide énor­mé­ment.

    Du coup pour l'écriture c'est a temps com­plet jusqu’à ce que sa soit fini, sauf autre impé­ra­tif impor­tant.

    Si ta d'autre ques­tion hés­site a les posés ici ou ailleurs.

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