Sept problèmes fascinants posés par les récepteurs olfactifs

Le cinquième va vous étonner !

Introduction : l'olfaction, un sens assez bien compris et compréhensible

L’olfaction n'est peut-être pas le plus noble des sens, com­pa­ré à la vue ou l’ouïe par exemple, mais il s'agit d'un sens assez bien com­pris aujourd'hui. C'est notam­ment grâce aux tra­vaux des bio­lo­gistes Lin­da B. Buck et Richard Axel, récom­pen­sés par un prix Nobel de phy­sio­lo­gie et de méde­cine en 2004. Essayons d'expliquer le prin­cipe de fonc­tion­ne­ment de ce sens, dans les grandes lignes et en sim­pli­fiant un peu.

Atten­tion, la suite de l'introduction est assez dense (prin­ci­pa­le­ment pour des ques­tions de voca­bu­laire) mais ne vous inquié­tez pas trop : le corps de l'article se veut acces­sible.

Des neu­rones olfac­tifs résident dans la paroi nasale, et pro­jettent cha­cun des den­drites dans la muqueuse olfac­tive. Chaque neu­rone olfac­tif exprime un, et seule­ment un, gène de récep­teur olfac­tif par­mi un réper­toire d'environ 400 gènes chez l'humain, et 1000 chez la sou­ris ou le chien. Chaque gène de récep­teur olfac­tif code pour un récep­teur trans­mem­bra­naire, de la famille des récep­teurs cou­plés aux pro­téines G. Chaque récep­teur vien­dra recon­naître un pat­tern spé­ci­fique de molé­cule (un récep­teur peut recon­naître plu­sieurs molé­cules ayant le même pat­tern, une molé­cule odo­rante pour­ra être recon­nue par plu­sieurs récep­teurs​1​). Lorsqu'une molé­cule odo­rante entre dans la cavi­té nasale, elle vient inter­agir avec un (ou plu­sieurs) récep­teur de neu­rone olfac­tif. Les neu­rones olfac­tifs expri­mant ces récep­teurs enver­ront alors des poten­tiels d'actions, à tra­vers leur axone, vers le bulbe olfac­tif, zone du cer­veau dédié à l'intégration des signaux olfac­tifs. Les neu­rones olfac­tifs expri­mant un même récep­teur olfac­tif sont répar­tis de manière dif­fuse et aléa­toire dans la muqueuse olfac­tive, mais pro­jettent leurs axones vers un même glo­mé­rule du bulbe olfac­tif. Dans le bulbe olfac­tif, il semble donc y avoir un enco­dage spa­tial du signal olfac­tif, une odeur, recon­nue par un ou plu­sieurs récep­teurs olfac­tifs, et qui acti­ve­ra un ou plu­sieurs glo­mé­rules pré­cis du bulbe olfac­tif, for­mant ce qui est par­fois appe­lé une « carte glo­mé­ru­laire olfac­tive ». Le bulbe olfac­tif et le reste du cor­tex se chargent ensuite de tra­duire ce signal élec­trique spa­tia­li­sé en sen­sa­tion odo­rante.

schéma de l'organisation du système olfactif
Sché­ma illus­trant l'organisation du sys­tème olfac­tif : L'encart de droite est un zoom de la par­tie gauche. Image : Isa­belle Sté­vant

Déso­lé pour ce matra­quage d'informations, mais tout ça pour dire que vu de loin, le fonc­tion­ne­ment de ce sens semble assez bien com­pris et com­pré­hen­sible. Nous allons tou­te­fois voir qu'il reste un bon nombre de mys­tères à résoudre, la plu­part concer­nant direc­te­ment la bio­in­for­ma­tique !

Problème 1 : un défi pour l'annotation des génomes

Il y a chez l'humain envi­ron 400 gènes de récep­teur olfac­tifs, soit tout de même 2% des gènes codant pour des pro­téines (une pro­por­tion qui monte à 5% chez le chien et la sou­ris !). Mais com­bien exac­te­ment ?

Les gènes des récep­teurs olfac­tifs sont courts, sou­vent mono-exo­niques, évo­luant vite, et assez peu conser­vés. Ils sont donc faci­le­ment sou­mis à une pseu­do­gé­ni­sa­tion (trans­for­ma­tion d'un gène, fonc­tion­nel, en un pseu­do­gène, non fonc­tion­nel) suite à une accu­mu­la­tion de muta­tions. Ain­si, anno­ter pré­ci­sé­ment quels sont les récep­teurs olfac­tifs géniques, et quels sont les récep­teurs olfac­tifs pseu­do­gé­niques n'est pas une tâche facile.

Ces gènes ne sont expri­més que dans un seul tis­su, et un seul gène à la fois par cel­lule. Il est donc assez déli­cat d'avoir des trans­crits com­plets pour tout les gènes de récep­teurs olfac­tifs par simple séquen­çage ARN. L'annotation Ensem­bl /​ GENCODE de ces gènes a pu être défaillante, notam­ment en 3'UTR et en 5'UTR, ce qui a pous­sé cer­tains cher­cheurs à défi­nir des anno­ta­tions alter­na­tives pour ces gènes chez la sou­ris​2​.

Olfr168
En noir : le modèle du gène murin Olfr168 pro­po­sé par Ibar­ra-Soria et al., PLOS GENETICS (2014)​2​. En rouge : le modèle du gène Olfr168 tel que pro­po­sé par Ensem­bl à l'époque. En gris et bleu : les reads RNA-seq ayant ser­vie à l'annotation. Image : CC-BY 4.0 Ibar­ra-Soria et al., PLOS GENETICS (2014).

Le raf­fi­ne­ment de ces anno­ta­tions est un tra­vail tou­jours en cours​3​.

Problème 2 : évolution et taux dN/​dS

Il y a un grand nombre de gènes de récep­teur olfac­tifs dans les génomes de mam­mi­fères, et par consé­quent la plu­part, pris indi­vi­duel­le­ment, ne sont pas essen­tiels. Sauf cas par­ti­cu­lier, n'avoir que 399 récep­teurs au lieu de 400 n’aboutit pas à une baisse impor­tante de fit­ness. Ces gènes sont donc sou­mis à une assez faible pres­sion de sélec­tion. Un des moyens de mesu­rer l'intensité de la sélec­tion dans une région du génome codant pour une pro­téine est de cal­cu­ler le ratio dN/​dS de la région (aus­si appe­lé ratio Ka/​Ks), c'est-à-dire comp­ter le ratio entre le nombre de variants non syno­nymes et le nombre de variant syno­nymes (cor­ri­gé par le nombre de sites dis­po­nibles). Un ratio dN/​dS proche de 1 indique une sélec­tion nulle, un ratio proche de 0 indique une très forte sélec­tion. Le ratio dN/​dS des récep­teurs olfac­tifs est d'en moyenne 0.35 chez le chien​4​ (avec de très larges varia­tions entre les gènes), un ratio très éle­vé pour des gènes pro­téiques. Il y a donc un para­doxe appa­rent : si la force de sélec­tion sur ces gènes est faible (for­ma­tion de nom­breux pseu­do­gènes, ratio dN/​dS éle­vé), com­ment main­te­nir sur le long terme l'efficacité de ce sens ? Il semble y avoir un équi­libre plus ou moins stable entre pseu­do­gé­ni­sa­tion de gènes de récep­teurs olfac­tifs, et créa­tion de nou­veaux gènes, par dupli­ca­tions ou re-géni­sa­tion de pseu­do­gènes. A noter que si ~60% des régions de récep­teurs olfac­tifs sont des pseu­do­gènes chez l'humain (~800 pseu­do­gènes pour ~400 gènes), ces pro­por­tions sont inver­sées chez la sou­ris et le chien (seule­ment ~20% de pseu­do­gènes et 80% de gènes)​5​.

Cette famille de gènes consti­tue donc une for­mi­dable oppor­tu­ni­té pour étu­dier la for­ma­tion de nou­veaux gènes, la pseu­do­gé­ni­sa­tion de gènes, ou pour éta­blir des phy­lo­gé­nies entre popu­la­tions proches.

Problème 3 : les structures 3D des récepteurs

Nous connais­sons main­te­nant un réper­toire de plus de mille gènes de récep­teurs olfac­tifs, qui doivent recon­naître plu­sieurs cen­taines de sur­faces molé­cu­laires dif­fé­rentes. Il s'agit là d'un fabu­leux défit dans la réso­lu­tion struc­tu­rale des com­bi­nai­sons récep­teurs — ligands. Ima­gi­nez la mine d'or, une fois qu'on aura réso­lu ces cen­taines de sur­faces molé­cu­laires et leurs inter­ac­tions. Peut-êtres seront nous alors capable de dési­gner arti­fi­ciel­le­ment des récep­teurs spé­ci­fiques à n'importe quelle molé­cule ? Cela dit, nous n'y sommes pas, et de loin. Une recherche sur la base de don­nées de struc­ture de pro­téine PDB (Pro­tein Data Bank) ne donne rien de bon. Il y a bien quelques ten­ta­tives de pré­dic­tions​6​, mais il y a sur­tout un gros défi­cit de don­nées expé­ri­men­tales. Alors au bou­lot les bio­lo­gistes struc­tu­raux, résol­vez-nous toutes ces struc­tures !

Problème 4 : l’identification des couples récepteurs — ligands

Mais au fait ! Avant de vou­loir résoudre les struc­tures des inter­ac­tions récep­teurs — ligands, ce serait peut-être bien de savoir quels récep­teurs recon­naissent quels ligands, non ? Ça pour­rait per­mettre la construc­tion de nez arti­fi­ciels basés sur des bio-mem­branes incor­po­rant des récep­teurs olfac­tifs sélec­tion­nés. Un article de 2015​7​ esti­mait que seul 10% des 400 récep­teurs olfac­tif chez l'homme avaient (au moins) un ligand publié dans la lit­té­ra­ture. Il res­te­rait donc une bonne grosse par­tie du che­min à par­cou­rir. En atten­dant de pou­voir tout tes­ter, cer­tains font là encore des pré­dic­tions​8​.

Problème 5 : la régulation de l’expression des gènes

Chaque neu­rone de la muqueuse olfac­tive exprime for­te­ment un, et seule­ment un, récep­teur olfac­tif par­mi le réper­toire de plu­sieurs cen­taines de gènes, et de façon mono-allé­lique ! Cette obser­va­tion a été faite il y a long­temps (par hybri­da­tion in situ, et RT-PCR en cel­lule unique​9​), et a été confir­mée à de nom­breuses reprises, par exemple par séquen­çage ARN de cel­lules uniques​10​.

Quel méca­nisme per­met une telle expres­sion sto­chas­tique, forte et mono-allé­lique, d'un unique gène par­mi un réper­toire de plu­sieurs cen­taines de gènes ?

Une des pre­mières hypo­thèses émises fut un évé­ne­ment de recom­bi­nai­son homo­logue, qui aurait dépla­cé le gène lui-même dans un unique locus du génome per­met­tant son expres­sion. Si une telle hypo­thèse vous semble far­fe­lue, rap­pe­lez-vous qu'un évé­ne­ment simi­laire à lieu lors de la genèse des lym­pho­cytes T et B : la recom­bi­nai­son V(D)J abou­tis­sant à la for­ma­tion d'un très large réper­toire de récep­teurs et anti­corps immu­ni­taire ! C'était donc une hypo­thèse vrai­sem­blable. Cepen­dant elle a été assez vite reje­tée expé­ri­men­ta­le­ment.

On peut aus­si ima­gi­ner que chaque gène de récep­teur olfac­tif aurait un fac­teur de trans­crip­tion unique per­met­tant son acti­va­tion, et que chaque neu­rone n'exprimerait qu'un seul de ces fac­teurs de trans­crip­tion ? Outre le fait que nous n'avons jamais trou­vé ces cen­taines de gènes de fac­teurs de trans­crip­tions qui seraient res­pon­sable cha­cun de l'expression d'un unique gène de récep­teur olfac­tif, cela ne ferait que repous­ser le pro­blème sans le résoudre : com­ment en effet expri­mer de façon unique et sto­chas­tique, un et seule­ment un, de ces fac­teurs de trans­crip­tion dans chaque cel­lule ?

Le mys­tère com­mence à être élu­ci­dé grâce à deux tech­no­lo­gies à la mode, le machine lear­ning et le HiC !

Tout d'abord, il faut savoir que les gènes de récep­teurs olfac­tifs sont en fait loca­li­sés en clus­ters de gènes sur le génome, c'est-à-dire regrou­pés en série d'une grosse dizaines de gènes. En 2014, des cher­cheurs​11​ ont iden­ti­fié une com­bi­nai­son de marques épi­gé­né­tique sin­gu­lières retrou­vé au niveau des deux enhan­cers de gènes de récep­teur olfac­tif connus à l'époque (dans le détail, un peak de diges­tion par la DNAse I asso­cié à un enri­chis­se­ment en H3K27ac, H3K4me1, et un appau­vris­se­ment en H3K79me3 et H3K27me3). Ils ont entré cette signa­ture dans l'algorithme SICER​12​, et après plu­sieurs étapes de fil­tra­tions (régions spé­ci­fi­que­ment mar­quées dans la muqueuse olfac­tive, dis­tance au récep­teur olfac­tif le plus proche), les auteurs ont iden­ti­fié 35 nou­veaux enhan­cers de gènes de récep­teurs olfac­tifs ! On en connaît main­te­nant 63, dénom­més « Greek Islands ». Par hybri­da­tions in situ, les auteurs ont ensuite mon­tré que ces enhan­cers se réunis­saient phy­si­que­ment via une inter­ac­tion trans (impli­quant des régions situées sur des chro­mo­somes dif­fé­rents) en un unique corps nucléaire (nuclear body) spé­ci­fique des neu­rones de récep­teurs olfac­tifs. Ils ont retrou­vés ces inter­ac­tions trans par HiC, confir­mé depuis par d'autres​13​.

Interactions entre deux clusters de gènes de récepteurs olfactifs
Inter­ac­tions entre deux clus­ters de gènes de récep­teurs olfac­tifs, un situé sur le chro­mo­some 9 (hori­zon­ta­le­ment), l'autre situé sur le chro­mo­some 7 (ver­ti­ca­le­ment), mesu­ré par la tech­nique du HiC. En haut : cel­lules nor­males, en bas : cel­lules où le gène Lbd1 a été inva­li­dé (la fré­quence des contacts semble alors dimi­nuer). OSN : Neu­rones sen­so­riels olfac­tifs. Image : CC-BY 4.0, Mona­han et al. bioRxiv (2018)

Ce corps nucléaire par­ti­cu­lier, for­mé entre autres via l'action des gènes Lhx2 et Ldb1, agit comme un unique super-enhan­cer, qui regroupe la majo­ri­té des enhan­cers de gènes olfac­tifs (il ne peut donc s'en for­mer qu'un seul par cel­lule !), mais qui n’accepte en son sein qu'un unique gène de récep­teur olfac­tif ! Cette théo­rie explique donc assez bien l'expression forte, unique, mono-allé­lique, des gènes de récep­teurs olfac­tifs. Il reste à com­prendre la topo­lo­gie fine de ce corps nucléaire nou­veau, pour com­prendre par quels méca­nismes ce der­nier ne per­met l'expression que d'un seul gène.

Problème 6 : la convergence glomérulaire

Les neu­rones expri­mant le même récep­teur olfac­tif sont épar­pillés au sein de la muqueuse olfac­tive, à l'intérieur du nez (il y existe un cer­tain zonage, mais qui ne change rien au pro­blème). Mais leurs uniques axones convergent tous vers un même glo­mé­rule de la zone olfac­tive du cor­tex céré­bral. Com­ment expli­quer cela ? On peut ima­gi­ner plu­sieurs scé­na­rios :

  1. On pour­rait ima­gi­ner une nais­sance des neu­rones olfac­tifs dans les glo­mé­rules. Chaque glo­mé­rule serait issu d'un même pré­cur­seur ayant déjà choi­si quel récep­teur expri­mer. Puis une migra­tion des neu­rones vers la muqueuse olfac­tive aurait lieu, chaque neu­rone lais­sant traî­ner der­rière lui son axone. Cette hypo­thèse élé­gante est mal­heu­reu­se­ment non sup­por­tée par les faits : la genèse des neu­rones olfac­tifs à lieu dans la paroi nasale, pas dans le cor­tex.
  2. Il fau­drait alors ima­gi­ner une fonc­tion de gui­dage axo­nal par chi­mio­tac­tisme de chaque récep­teur olfac­tif ? Peut-être trouve-t-on au sein de chaque glo­mé­rule une molé­cule olfac­tive recon­nue par les neu­rones y conver­geant ? Il semble cepen­dant assez far­fe­lu d'imaginer la syn­thèse loca­li­sée de plu­sieurs cen­taines de molé­cules odo­rantes dif­fé­rentes au sein même du cer­veau. On pour­rait aus­si ima­gi­ner que chaque récep­teur, en plus de recon­naître un pat­tern molé­cu­laire, puisse se recon­naître lui même et se dif­fé­ren­cier des cen­taines d'autres récep­teurs olfac­tifs ? Cette double contrainte semble assez peu pro­bante, car elle sug­gère une coévo­lu­tion de deux domaines molé­cu­laires, concur­rem­ment sur plu­sieurs cen­taines de gènes !
  3. Peut-être que chaque neu­rone se pro­jette indé­pen­dam­ment dans la zone olfac­tive du cor­tex, puis, chaque axone cherche ses axones « frères » s'activant en même temps que lui. C'est-à-dire que les axones s'aggloméreraient spon­ta­né­ment à chaque fois que des poten­tiels d'actions débar­que­raient simul­ta­né­ment. On peut par exemple ima­gi­ner que le pas­sage d'un poten­tiel d'action puisse expo­ser briè­ve­ment des molé­cules d'adhésions cel­lu­laires à la sur­face des axones​14​. On appelle ce sys­tème « gui­dage axo­nal dépen­dant de l'activité » abou­tis­sant à une « conver­gence glo­mé­ru­laire ». Il y aurait donc une phase d'éducation néces­saire à la mise en place de la sen­sa­tion olfac­tive, le temps que chaque axone retrouve ses copains d'activations. C'est la théo­rie en vogue du moment​15​. Cepen­dant, elle n'explique pas pour­quoi les glo­mé­rules issus de neu­rones expri­mant un même récep­teur olfac­tif sont géné­ra­le­ment pla­cé au même endroit dans les bulbes olfac­tifs droite et gauche d'un indi­vi­du, mais aus­si au même endroit d'un indi­vi­du à l'autre ! Cela serait lié au fait que chaque récep­teur olfac­tif tra­dui­rait le signal olfac­tif via des niveaux d'activations un peu dif­fé­rents du signal médié par cAMP, et que ces niveaux de signaux cAMP ser­vi­raient au posi­tion­ne­ment gros­sier des glo­mé­rules dans le bulbe olfac­tif​16​. Ain­si la conver­gence glo­mé­ru­laire serait expli­quée par un méca­nisme de gui­dage dépen­dant de l'activation, et la posi­tion de chaque glo­mé­rule serait glo­ba­le­ment iden­tique d'un indi­vi­du à l'autre car chaque gène de récep­teur olfac­tif aurait un niveau d'activation de la voie de signa­li­sa­tion cAMP intrin­sè­que­ment légè­re­ment dif­fé­rents des autres.

Problème 7 : la neurogenèse adulte

Les neu­rones olfac­tifs sont expo­sés au milieu exté­rieur dans la cavi­té nasale. Ils ont pour mis­sion de détec­ter des molé­cules olfac­tives, dont cer­taines, telles les molé­cules aro­ma­tiques par exemple, peuvent être assez toxiques. On com­prend donc aisé­ment que ces neu­rones sont moins pro­té­gés que ceux du cor­tex, et qu'ils subissent une forte mor­ta­li­té. Heu­reu­se­ment, cette mor­ta­li­té impor­tante est com­pen­sée par une neu­ro­ge­nèse conti­nue, y com­pris à l'âge adulte ! Peut-être êtes-vous au cou­rant du débat, assez ancien, mais tou­jours d'actualité, de savoir si il y a un peu de neu­ro­ge­nèse limi­tée dans nos cer­veaux adultes, ou si il n'y en a aucune. Pour un résu­mé de la situa­tion, je vous ren­voie à cet article. En plus des neu­rones de la muqueuse olfac­tive, la neu­ro­ge­nèse adulte semble aus­si avoir lieu pour les neu­rones du bulbe olfac­tif​17​ !

Avec le vieillis­se­ment de la popu­la­tion, résul­tant de la fan­tas­tique baisse de mor­ta­li­té liés aux mala­dies infec­tieuses, les mala­dies neu­ro­dé­gé­né­ra­tives prennent de l'ampleur, et l'étude de la neu­ro­ge­nèse adulte est donc un enjeu bio­mé­di­cal majeur pour essayer de contrer leurs effets dévas­ta­teurs.

Conclusion

J’espère que j'aurais réus­si à vous faire décou­vrir quelques mys­tères entou­rant le sens de l’olfaction. Pour cer­tains, nous sommes en passe de les résoudre. Pour d'autre, le brouillard reste épais. Dans tous les cas, je suis per­sua­dé d'une chose : les réponses vien­dront en grande par­tie de la bio­lo­gie com­pu­ta­tion­nelle !

Je serai aus­si très curieux de savoir quel point (évo­qué ici ou non) vous étonne ou vous fas­cine le plus dans le sys­tème olfac­tif. Dites-le-nous en com­men­taire.

Je ne tra­vaille pas sur les récep­teurs olfac­tifs, et n'ai qu'une connais­sance très super­fi­cielle de la lit­té­ra­ture du domaine. Ce billet n'est d'ailleurs en aucun cas une revue exhaus­tive de la lit­té­ra­ture. Je vous demande de m'excuser si j'ai oublié de citer des réfé­rences clefs du domaine. N'hésitez pas à m'en faire part en com­men­taire, et je m'efforcerai de les rajou­ter dans le texte.

Mer­ci à mes ado­rables relec­teurs Kevin Gueu­ti, M4rsu et Plopp, ain­si qu'à nos for­mi­dables édi­teurs du blog. Mer­ci à ZaZo0o pour sa splen­dide illus­tra­tion de l'introduction.

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  17. Brann J, Fire­stein S. A life­time of neu­ro­ge­ne­sis in the olfac­to­ry sys­tem. Front Neu­ros­ci. 2014;8:182. https://​www​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​p​u​b​m​e​d​/​2​5​0​1​8​692.


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Commentaires

3 réponses à “Sept problèmes fascinants posés par les récepteurs olfactifs”

  1. Hey !

    Mer­ci pour cet article com­plexe mais vrai­ment inté­res­sant. Il aura fal­lut plu­sieurs lec­tures de cer­tains pas­sage pour com­prendre vu que ce n'est pas mon domaine 🙂

    Quelques petites ques­tions pour aider cette com­pré­hen­sion et aus­si satis­faire une cer­taine curio­si­té :
    * Tu parles de pat­tern de molé­cule, ça désigne la confor­ma­tion 3D des molé­cules ou plus ?
    * En quoi le dépla­ce­ment du gène dans un unique locus entraine une forte expres­sion d'un seul gene/​recepteur ?
    * Existe-il un lien entre l'unique corps nucléaire et les TAD/​compartiments géniques ?
    * T'es allé assez vite sur la conclu­sion "1 super enhan­cer par cel­lule" et il n'accepte qu'un seul gène dedans. Tu dis qu'il va fal­loir cher­cher à com­prendre com­ment ce super enhan­cer n'exprime qu'un gène, mais je me pose une autre ques­tion : Com­ment ce gène unique est sélec­tion­né par chaque type de cel­lule cor­res­pon­dant à un recep­teur ?

    1. Mer­ci pour ces ques­tions qui me per­mettent de pré­ci­ser quelques points sur les­quels je suis pas­sé trop vite dans l’article.

      • Tu parles de pat­tern de molé­cule, ça désigne la confor­ma­tion 3D des molé­cules ou plus ?
        → Ça désigne bien la confor­ma­tion 3D + d’autres trucs de chi­mistes : la sur­face élec­tro­sta­tique, la capa­ci­té à faire des ponts hydro­gènes ou à géné­rer des forces de van der Valls, l’hydrophobicité et peut-être d’autres trucs que j’aurais oublié de mes cours de chi­mie. En effet, même si la confor­ma­tion 3D du récep­teur et du ligand son com­pa­tible, si les deux sont char­gés posi­ti­ve­ment ils n’interagiront pas. C’est donc l’ensemble de ces pro­prié­tés que j’ai mis dans le mot « pat­tern molé­cu­laire ».
      • En quoi le dépla­ce­ment du gène dans un unique locus entraine une forte expres­sion d'un seul gene/​recepteur ?
        → Ah oui ! Super ques­tion. L’idée est que les gènes des récep­teurs olfac­tifs seraient for­te­ment répri­mé par défaut. Un seul enhan­cer de type « greek island » ne suf­fi­rait pas à acti­ver la trans­crip­tion, il fau­drait l’action com­bi­née d’un grand nombre d’enhancers, situé sur des chro­mo­somes dif­fé­rents.
        Cela dit, tout n’est pas encore démon­tré. Pour en savoir plus, vous pou­vez jeter un œil sur les dis­cus­sions de ces articles :
        https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​c​e​l​l​.​2​0​1​4​.​0​9​.​033 et https://doi.org/10.1038%2Fs41586-018‑0845‑0
        Vous y décou­vri­rez plus de détails que j’ai pas­sé sous silence : rétro-action sta­bi­li­sa­trice une fois que l’expression d’un gène de récep­teur olfac­tif dépasse un cer­tain seuil, dif­fé­ren­tia­tion des neu­rones blo­qué tant que le choix du gène a expri­mé n’est pas sélec­tion­né, méca­nisme de sépa­ra­tion de phase de la chro­ma­tine abou­tis­sant au rap­pro­che­ment des enhan­cers « greek island », etc.

      • Existe-il un lien entre l'unique corps nucléaire et les TAD/​compartiments géniques ?
        → Ce qui est décrit pour l’instant c’est l’interaction d’enhancers situé sur des chro­mo­somes dif­fé­rents, où a une grande dis­tance l’un de l’autre. Un TAD est un domaine conti­nue de quelques méga­bases, bien plus grand qu’un enhan­cer qui fait plu­tôt quelques kilo­bases. Il est pos­sible que cet hypo­thé­tique corps nucléaire coïn­cide avec des TAD bien défi­nit, mais ce n’est pas vrai­ment regar­dé je crois. Un des pro­blèmes étant que chaque neu­rone sen­so­riel aura des enhan­cers et un gène de récep­teur olfac­tif dif­fé­rent de ses voi­sines et que le HiC va mélan­ger tout ça.

      • T'es allé assez vite sur la conclu­sion "1 super enhan­cer par cel­lule" et il n'accepte qu'un seul gène dedans. Tu dis qu'il va fal­loir cher­cher à com­prendre com­ment ce super enhan­cer n'exprime qu'un gène, mais je me pose une autre ques­tion : Com­ment ce gène unique est sélec­tion­né par chaque type de cel­lule cor­res­pon­dant à un récep­teur ?
        → l’hypothèse du moment est que ce soit une sélec­tion au hasard des gènes de récep­teurs olfac­tifs, au gré des fluc­tua­tions de la chro­ma­tine lors de la dif­fé­ren­tia­tion neu­ro­nale, puis verrouillage/​stabilisation pour que le même gène reste expri­mé. Atten­tion, ici, si on sup­pose une sélec­tion au hasard, on sait que ce n’est pas un choix uni­forme ! Cer­tains récep­teurs sont glo­ba­le­ment choi­sis plus sou­vent que d’autres. Il fau­drait essayer de cor­ré­ler la dis­tance entre chaque récep­teur olfac­tif avec l’enhancer « greek island » le plus proche ver­sus sa fré­quence d’expression au sein des neu­rones sen­so­riels olfac­tif, pour voir si ce ne serait pas là l’une des sources dans le biais de ce choix au hasard.

      J’en pro­fite pour rap­pe­ler l’ordre des évé­ne­ments :
      Les neu­rones sen­so­riels olfac­tifs naissent dans la muqueuse du nez, choi­sissent cha­cun défi­ni­ti­ve­ment quel récep­teur olfac­tif ils vont expri­mer (au hasard), puis pro­jettent leur axone vers le cer­veau, via des nerfs olfac­tifs. Dans le bulbe olfac­tif, région du cer­veau, les axones des neu­rones expri­mant le même récep­teur se rejoigne dans une même struc­ture ana­to­mique appe­lé glo­mé­rule, alors même que le corps des neu­rones en ques­tion tapisse un peu au hasard la paroi du nez !
      Les axones des neu­rones des récep­teurs olfac­tifs ne font que quelques cen­ti­mètres de long, le nez n’étant pas si loin des deux bulbes olfac­tifs : https://​fr​.wiki​pe​dia​.org/​w​i​k​i​/​B​u​l​b​e​_​o​l​f​a​c​t​i​f​#​/​m​e​d​i​a​/​F​i​c​h​i​e​r​:​H​e​a​d​_​o​l​f​a​c​t​o​r​y​_​n​e​r​v​e​.​jpg
      En revanche, les axones des neu­rones sen­so­riels ou moteurs rejoi­gnant le bout du pied ou de la main à la moelle épi­nière font prêt d’un mètre de long !

  2. Excellent dos­sier, féli­ci­ta­tions pour cette revue de grande qua­li­té. Les récep­teurs olfac­tifs res­tent fas­ci­nants, c est vrai !
    Les approches numé­riques per­mettent dans bien des cas d iden­ti­fier leurs fonc­tions, leurs ligands ou leurs méca­nismes de signa­li­sa­tion. On attend avec impa­tience une struc­ture 3D !

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