"Tout seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin".
Proverbe africain
Il est un constat que je fais de plus en plus souvent et qui m'attriste à chaque fois un peu plus : notre belle société semble tendre vers l'individualisme. Il est probable que l'émergence des réseaux sociaux et à l'actuel culte du nombrilisme associé y soit pour quelque chose. Mais discuter de tout cela ici serait totalement hors-sujet et inadapté à la ligne éditoriale de notre blog bio-informatique.
Je vais donc me permettre de sortir du côté scientifique purement applicatif pour m'intéresser plus à sa dynamique, son contexte entrepreneurial, académique, voire sociétal. En effet ce débat prend tout son sens aussi en sciences et se doit d'être entendu par ses acteurs les scientifiques.
Malgré mon introduction alarmiste au possible et digne d'un lancement de reportage d'une chaîne TV d'information continue, vous noterez que je vous ai épargné le titre piège-à-clics 🙂 Je pense que nous, les scientifiques, mettons un point d'honneur à nous constituer des petites ou moins petites communautés de partage. C'est dans l'essence même de notre métier : je trouve quelque chose, je le partage avec mes copains (=ceux qui partagent les mêmes centres d'intérêts que moi) afin que l'information vive et soit peut-être réutilisée un jour. En un sens ça donne aussi un but à nos travaux. Ce point central de notre métier est donc difficilement discutable, bien que tout contre argument soit le bienvenu en commentaire.
Ainsi, à partir de ces initiatives de partage se développent des communautés plus structurées de valorisation des connaissances : associations, réseaux scientifiques, groupements de chercheurs (ou GDR, équivalents académiques des associations), mais également des entreprises avec les bien connues start-up. Je vais profiter de ce billet pour en détailler quelques exemples.
Les communautés et associations en Bio-informatique
La Société Française de Bioinformatique (SFBI)
Je me rappelle le plaisir que j'ai eu il y a bientôt dix ans (#coupDeVieux) quand Marie Beurton Aimar, la responsable du Master de bioinformatique de Bordeaux que je suivais à l'époque, nous avait appris l'existence d'une société savante en Bio-informatique : la SFBI. Pour les non-initiés, une société savante n'est ni plus ni moins qu'une association de scientifiques réunis par un ou plusieurs domaines de recherche commun et ayant pour but de faire perdurer le savoir dans ce(s) domaine(s).
L'historique de l'association est très bien relatée sur leur site officiel fraîchement re-designé, que je vous encourage à aller découvrir.
Il existait donc déjà un réseau de professionnels de mon futur métier, plutôt bien organisé et qui fournissait même déjà une liste de diffusion par mail pour les stages, emplois et annonces d'évènements autour de la bio-informatique. Pour la petite histoire, la paternité de cette liste de diffusion revient à Laurent Mouchard.
La SFBI est aussi les coordinateurs des JOBIM : Journées Ouvertes en Biologie, Informatique et Mathématiques — LA conférénce bioinfo française à ne pas louper dans l'année. D'ailleurs ils proposent aussi chaque année des bourses de voyage pour vous permettre d'assister à des conférences, renseignez-vous vite si ça vous intéresse. Et tout ça gratuitement et uniquement grâce à des bénévoles. C'est important de le souligner !
Les Jeunes Bioinformaticiens de France (JeBiF)
Dans le même esprit et en complément de la SFBI, il y a une autre communauté qui me vient en tête : les JeBiF (pour Jeunes Bio-informaticiens de France). C'est un peu l'avant-SFBI, une communauté adaptant ses évènements et communications à un public débutant dans le domaine de la bio-informatique pour l'y accompagner. Là encore, une association de jeunes bénévoles, qui s'organisent tant bien que mal pour mettre en lumière la Bio-informatique en France et aider au mieux les étudiants et futurs étudiants de ce domaine.
Les années passées à les côtoyer, souvent de loin mais aussi de près lors des JOBIM ou autres rassemblements, me permettent de dire qu'ils réalisent un boulot monstre. Ils/elles sont les hommes/femmes de terrain. Leurs points d'impacts sont précis, organisés et réfléchis (rencontres dans des lycées ou des universités, présence lors d'événements scientifiques majeurs comme la fête de la science ou encore les Pint of Science, …). En gros, ils ont de l'énergie et ils savent l'utiliser correctement.
Biostars
D'un point de vue international, je pense tout de suite à Biostars qui a su devenir une référence en terme de bioinformatique. Pour ceux venant d'arriver ou ne connaissant pas encore cet excellent site d'entre aide : ce n'est ni plus, ni moins que le StackOverflow de la bioinformatique. C'est aussi un lieu privilégié d'échanges techniques sur les outils qui sont développés dans la communauté. Ainsi les auteurs de packages comme DESeq2 passent de temps à autre répondre aux questions eux-même. Par ailleurs certaines réponses sont tellement complètes qu'elles pourraient être un article du blog à elles seules ! Et qui dit international dit anglais, vous y trouverez de nombreuses questions/réponses triées par catégories et la communauté ne manquera pas d'essayer de vous solutionner si vous êtes dans le pétrin sur un point qui n'a pas encore été traité.
Les Life Sci Trainers
Ils sont tout jeunes et je leur souhaite plein de belles choses. C'est vraiment les tout débuts, c'est assez difficile de savoir si la mayonnaise va prendre, mais on leur souhaite vraiment. À l'instar de Biostars, ils ont créé une plateforme (un Slack en réalité) où les chercheurs peuvent s'entre-aider les uns les autres. A l'heure où j'écris ces lignes il semble y avoir un petit problème pour rejoindre le Slack en question, mais espérons que cela ne soit qu'un petit problème passager.
Pour la petite histoire, je les ai découvert au hasard d'un live-tweet d'une conférence scientifique cette année (le LT en question) et je vous encourage vivement à aller y jeter un coup d'oeil. Comme quoi, Twitter est vraiment un réseau utile pour faire sa veille !
Bioinfo-fr.net, quand même !
Je vais aussi parler de bioinfo-fr.net, notre blog scientifique communautaire orienté autour de la bio-informatique dans la langue de Molière.
Notre histoire, comme expliquée rapidement dans cette brève datant de quelques années maintenant, part d'une simple discussion lors d'un repas entre collègues pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui : une communauté d'une centaine de contributeurs, de plusieurs milliers de lecteurs et d'une grande dose de partage et d'entre-aide. Bientôt huit ans après nos débuts (février 2012), on ne cesse d'attirer de nouveaux visiteurs, de répondre à vos questions via les commentaires des articles, les mails ou notre canal IRC. N'hésitez pas à passer nous faire un petit coucou, il y a toujours du monde.
D'autres ?
Il existe d'autres groupes peut-être moins axés spécifiquement sur de la bio-informatique, ou à l'inverse trop spécialisés sur une branche de celle-ci (évolution, assemblage, protéomique, médecine personnalisée, réseau, diagnostique, etc.). Alors même si on ne peut pas tous les citer, j'aimerais vous mentionner le réseau ARAMIS par exemple qui n'est autre que la plateforme Rhone-Alpine/Auvergnate de resinfo. A première vue d'ailleurs on est loin de la bio-informatique et pourtant chaque année il y a au moins un sujet de bio-info traité durant leur journée de rassemblement. L'intérêt du partage : si je ne vous l'avais pas dit, l'auriez-vous su un jour ?
J'en ai peut-être (sûrement !) oublié, et c'est bien dommage si c'est le cas mais cela veut tout simplement dire que je n'ai pas connaissance de leur existence. Je vous propose donc de rajouter vos communautés bio-informatiques en commentaire si jamais c'est le cas. Merci par avance !
J'ai tout ça sous la main mais je râle quand même ?
Alors oui, il est vrai qu'on a de quoi faire et rien que pour cela : on peut s'en féliciter ! Car tout ce dont je viens de vous parler sont des structures bénévoles organisées (ou non) et datant de plusieurs années (à l'exception des Life Science Trainers) !
Génial non ? Oui. Mais alors pourquoi cette introduction alarmiste ?! Eh bien parce que cela fait plusieurs mois (pour ne pas dire plusieurs années), que l'on sent un manque d'implication, d'engagement pour ces structures et que cela nous alerte. En effet, depuis toutes ces années si on regarde le turn-over des personnes impliquées, ça ne va pas forcément dans le bon sens et les arguments de non-ralliements se re-croisent souvent : "je n'ai pas le temps", "je ne pense pas être à la hauteur", "je n'ai rien a apporté à la communauté" ou encore "je vous recontacte, c'est promis". On attend toujours.
La communauté actuelle n'est pas morte, loin de là, mais elle est vieillissante. Le sang frais se fait rare et les nouveaux éléments sont souvent un des éléments moteur d'une communauté vivante et en bonne santé. Ça permet de garder une bonne dynamique et de ne pas épuiser toujours les mêmes personnes qui au bout d'un moment n'ont plus autant d'énergie et de matière à partager.
De plus l'ambiance sociétale actuelle n'invite également pas à la confiance en soit et donc à l'implication face à des personnes qui ont la critique très facile alors qu'ils ne contribuent eux-même pas du tout. Il faudrait que les individus expérimentés repensent au contexte dans lequel ils formulent leur critique avant de la faire. Le constat actuel, c'est qu'on ne permet pas forcément l'erreur et/ou qu'on la pardonne moins. Du coup il se passe que de potentiels contributeurs envieux de s'investir un peu plus dans une communauté se retrouvent figés et n'osent pas franchir le cap du passif à l'actif par peur de l'échec. On perd alors plein de potentielles idées nouvelles et fraîches et c'est vraiment regrettable.
Quelles sont les solutions pour continuer de diffuser notre bio-informatique chérie ?
Pour parler de chose que je connais bien, donc de bioinfo-fr.net, ce n'est pas faute de proposer largement et gratuitement l'adhésion à une plateforme simple d'approche (WordPress), dont la maintenance est complètement gérée de A à Z et l'hébergement déjà payé (par nous les admins). Notre dernière présentation aux JOBIM2019 de Nantes n'est qu'une preuve de plus que nous essayons encore et toujours d'amener cette dynamique et de donner envie de participer. On peut rapidement citer aussi canSnippet, plateforme de partage de bouts de codes (snippets) que nous avons mis à disposition il y a plus d'un an.
Le souci ne semble donc pas être l'outil, ni l'animation autour de la communauté mais bel et bien l'étape de l'engagement de la personne. Chacun possède quelque chose à partager. Les étudiants peuvent apporter une nouvelle façon de voir un domaine/une technique, et les expérimentés (académiques comme privés) ont beaucoup à nous apprendre car ils ont des retours pratique sur une théorie enseignée encore bien souvent éloignée de la réalité professionnelle. Alors qu'est-ce qui pourrait motiver nos pairs jeunes ou moins jeunes à venir gonfler nos rangs et à proposer à l'ensemble de la communauté leurs lumières sur leurs points d'expertises ?
Une rémunération des auteurs et des relecteurs ? On n'a pas encore gagné à la loterie et on ne fait pas ça pour l'argent mais pour le partage. Mais c'est promis : le jour où on aura deux-trois billets en trop, on pense d'abord à vous 🙂
Des avantages ? L'avantage premier lorsqu'on contribue dans une communauté scientifique c'est qu'on peut (et qu'on doit !) en parler. Ainsi par exemple, nous chez les Geekus biologicus, nous encourageons nos contributeurs à faire apparaître sur leur CV le fait qu'ils agissent pour la communauté. Et d'après les retours qu'on a : ça plaît aux recruteurs !
Et oui, c'est en effet l'assurance d'un ancrage fort dans un réseau professionnel fourni et structuré et donc la preuve d'une bonne capacité à communiquer ! Car bien sûr quand on se retrouve en conférence, la glace est déjà brisée et c'est nettement plus facile d'aller vers l'autre. On se fait rapidement un copain/une copine de plus au compteur et c'était facile en plus !
Une large diffusion ? On sait que les professeurs des différentes formations francophones nous connaissent, nous soutiennent et parlent de nous aux nouvelles générations. On en profite d'ailleurs pour les remercier encore une fois pour tout cela, on a besoin de ça, c'est certain ! On a aussi proposé dernièrement une belle affiche à imprimer et à placarder dans vos labos pour passer le mot autour de vos collègues qui ne connaîtraient pas encore les Geekus biologicus. Enfin, les organisateurs des JOBIM nous contactent presque toujours pour nous proposer un petit instant de lumière durant la conférence. Ça aussi, c'est vraiment utile et apprécié.
Un peu plus de confiance en soi ? S'engager dans une communauté, c'est un peu comme investir une troupe de théâtre : à un moment on va se retrouver sous la lumière, il faut pouvoir le gérer d'une part et être bien accompagné d'autre part. Par exemple chez bioinfo-fr, on a pour habitude depuis le début de l'aventure d'accompagner un maximum nos nouveaux auteurs pour leurs premières contributions. On discute aussi énormément en phase de pré-publication pour s'assurer qu'il n'y a pas de grosse faille dans ce qui va être exposé à la communauté scientifique. Après la publication, nous gérons aussi les retours sous forme de commentaires que nous administrons, ou d'e‑mails que nous recevons et faisons suivre aux auteurs pour que la discussion continue de vivre. Il est selon moi primordial d'avoir cet appui afin que le contributeur se sente pleinement investi au sein de la communauté et en ressorte grandi.
Vous n'avez "pas le temps" ? Personne n'a le temps dans ce monde où tout va vite et s'accélère. Les étudiants ont leurs études intenses à gérer, les doctorants passent déjà plus de temps sur leur thèse que la législation ne l'autorise, les professionnels ont souvent leur deuxième job de parents à accomplir une fois rentrés chez eux, ou bien ont des responsabilités professionnelles qui les suivent jusque chez eux et qui sont énergivores. Pourtant malgré les contraintes propres à chacun, des personnes de chacune de ces catégories s'investissent dans ces communautés précédemment citées, et plus particulièrement dans bioinfo-fr. Leur point commun ? Ils prennent ce temps : comme vous, ils ont souvent une heure ou deux qu'ils pourraient passer à regarder une série dans le train, scroller indéfiniment sur les fameux réseaux sociaux entre deux taches ménagères, etc. Mais ils ne cherchent pas d'excuses et lancent leurs deux-trois idées sur un article. Puis le plan se transforme en brouillon, et en article à relire pour finir en merveilleux billet publié ! Peut-être n'en avez-vous pas conscience mais pratiquement aucun article ici n'a été écrit en une seule fois. Ce sont ces petites heures par-ci par là qui finissent par donner ces beaux recueils d'informations que vous lisez chaque semaine.
En réalité, et ce dont je suis maintenant persuadé, c'est qu'il n'existe qu'une seule solution à cette problématique et qu'elle était en fait sous votre nez depuis le début : la motivation.
Car oui, donner de son temps pour ce genre de chose, c'est un peu comme arrêter de fumer : si vous ne le voulez pas, n'essayez même pas ça ne servira à rien. Il faut que cela vienne de vous, ça se sentira dans ce que vous amènerai à la communauté. Ceci est clairement un article à charge, c'est évident. À lire mes mots, on dirait que contribuer à un réseau est une étape obligatoire à la vie d'un scientifique. Bien sûr que non, mais il faut bien que je vende mon idée, non ?! 🙂
Vous l'aurez compris je pense : notre belle communauté vieillie et nous en appelons à votre aide, à vos connaissances et à votre temps. Je parle bien entendu pour bioinfo-fr, mais je pense que pour toutes les autres organisations citées plus haut dans cet article, c'est également une vérité. Et à une heure où il est déjà facile de se retrouver isolé en tant que bio-informaticien au coeur d'une équipe de biologiste (surtout si vous êtes un junior), il serait dommage de se passer du soutien que peut apporter une communauté. Alors si j'ai (enfin) réussi à vous convaincre, allez‑y, montrez-moi que je me trompe et que la relève est bien là !
Pour nous rejoindre, c'est toujours aussi simple : un mail à contribuer[A]bioinfo-fr[POINT]net. Cela ne vous engage en rien, si ce n'est d'essayer et de découvrir l'envers du décor ! À très vite donc j'espère, vraiment 🙂
Merci à mes relecteurs Léopold, Nolwenn, Kevin, Isabelle et Gwenaelle sans qui cet article aurait été beaucoup moins sympa à lire !
Crédits illustration : "Handshake Between LEGO Minifigures" by Pest15
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