Vous avez probablement entendu le buzz du web ou remarqué la soudaine augmentation d'articles autour du projet ENCODE (décodage du génome humain et de ses éléments fonctionnels). En 24 heures, il y a eu une quantité invraisemblable de communiqués de presse, billets de blogs et articles grand public dans les médias anglophones (et je passe sur les applications tablette…). La profusion euphorique laisse cependant transparaître quelques hics que je voudrais soumettre à vos yeux et cerveaux bien reposés des vacances et avides de lecture.
De quoi s'agit-il au juste ? Eh bien, la revue Nature a lancé l'Encyclopédie ENCODE, une ressource en ligne permettant d'explorer la quantité impressionnante de données du projet ENCODE. Je ne vais pas me lancer dans le résumé et la discussion de la trentaine d'articles comme celui-ci publiés d'un coup. J'imagine que le lectorat de ce site n'a pas non plus besoin d'une mise en garde contre les promesses mirobolantes, science-fictionesques et pas vraiment tenues du génome humain. Les papiers sont excellents, à accès ouvert. L'Encyclopédie est jolie et fournit une façon assez nouvelle et agréable d'explorer la mine de données qu'est ENCODE. Ne pas reconnaître les efforts et les avantages incontestables de l'initiative serait faire preuve de mauvaise foi (au mieux).
Soit. J'aimerais qu'on s'arrête à quelques petites choses gênantes cependant. Je ne suis pas spécialement fan des théories du complot, mais il est surprenant de constater que ces publications massives, censées apporter une connaissance hors pair et LA réponse à la question ultime, apparaissent à deux mois de l’élection présidentielle américaine. Oh, beaucoup vont se dire que sincèrement, on se fiche royalement de la politique américaine et d'éventuelles magouilles politiciennes. Vous avez raison de sauter ce paragraphe alors 🙂 Permettez-moi de continuer pour les autres : ENCODE constitue un financement de 5 ans à la hauteur de 200 millions dollars US, subside accordée aux National Institutes of Health (NIH). De plus, comme le souligne l'un des piliers du projet Ewan Birney :
Funders have considerable influence in how raw and analysed data are released, and should design policies that maximize reuse. Early data-release policies focused on how data should be shared before publication, with clumsy etiquette-based restrictions on the first publications of global analysis, such as waiting for the authors who generated the data to publish their analyses before others can publish on the entire data set. These agreements are starting to show their age and a lack of clarity.
The new era of analysis calls for a rethink, with more focus on the release of intermediate analysis throughout the project, so that the community can use the resource more fully during the project ; the 1000 Genomes consortium has done well in this regard.
En français, ça discute très diplomatiquement de l'influence de celui qui donne les sous sur la façon dont les résultats de recherche sont rendus publics. J'imagine bien les sourires acides en coin d'une bonne partie de nos lecteurs 😉 On ne connaît ça que trop bien. D'ailleurs, Daniel MacArthur de Genomes Unzipped renchérit en disant qu'une bonne partie des données d'ENCODE étaient prêtes pour l'analyse il y a déjà un an. Nous avons encore plein de pain sur la planche pour nous rendre indépendants des contraintes politiciennes et des peurs de moins en moins justifiées (et toujours irrationnelles) de cacher nos découvertes pour qu'on ne nous les vole pas…
Comme promis, je m'arrête ici pour la politique. Parlons science. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt que "80% du génome humain est fonctionnel". J'aurais aimé également lire de quelle(s) fonctionnalité(s) il s'agit exactement. Il y a un chiffre qui circule disant que 1,5% du génome code pour des protéines ; Ed Yong souligne que selon les papiers ENCODE, 8–9% du génome seraient réservés à des sites de fixation de facteurs de transcription. Si on étend ça à tous les types cellulaires, on peut pifométriquement conclure à 20% du génome. Alors, pour aller jusqu'à 80%, il y a de la marge. Ewan Birney parle justement de ça sur son blog ; l'étiquette "functional" peut être apposée sur plein de choses dans le sac de l'activité biochimique mesurable, donc un bric-à-brac à prendre avec des pincettes :
Pragmatically, in ENCODE we define our criteria as “specific biochemical activity” – for example, an assay that identifies a series of bases. This is not the entire genome (so, for example, things like “having a phosphodiester bond” would not qualify). We then subset this into different classes of assay ; in decreasing order of coverage these are : RNA, “broad” histone modifications, “narrow” histone modifications, DNaseI hypersensitive sites, Transcription Factor ChIP-seq peaks, DNaseI Footprints, Transcription Factor bound motifs, and finally Exons.
Pour les très pessimistes, même ces 20% peuvent paraître de trop. Birney parle donc de l'importance de fixation (de facteurs) biologiquement neutre en termes d'évolution, à préférer pour lui à "bruit biologique". L'idée est que des évènements de fixation de facteurs de transcription se produisent de façon neutre, c.-à‑d. sans être sujets à une sélection positive ou négative ou, de façon profane, dont "l'évolution se fiche" (oui, je sais, je viens d'écrire des gros mots 🙂 ). Après, ça discute de sélection négative et du choix des 80% : je recommande la lecture de ces paragraphes que je ne résume pas ici pour me laisser de la place pour la suite 🙂
L'autre point que j'aimerais bien aborder avant de terminer cette bafouille est l'utilisation à outrance du ton sensationnaliste et du mot "ADN poubelle". Exemples :
The hundreds of researchers working on the ENCODE project have revealed that much of what has been called 'junk DNA' in the human genome is actually a massive control panel with millions of switches regulating the activity of our genes. (clame Eurekalert)
Now scientists have discovered a vital clue to unraveling these riddles. The human genome is packed with at least four million gene switches that reside in bits of DNA that once were dismissed as “junk” but that turn out to play critical roles in controlling how cells, organs and other tissues behave. The discovery, considered a major medical and scientific breakthrough, has enormous implications for human health because many complex diseases appear to be caused by tiny changes in hundreds of gene switches. (jouit le New York Times)
Au risque de faire la rabat-joie de service, ça fait un moment qu'on a arrêté de parler d' "ADN poubelle". Même que des gens totalement fous ont magnifiquement théorisé à quoi et comment ces parties du génome pourraient servir… dans les années 1960–70. Alors, c'est sûr, ce n'est pas la faute au projet ENCODE si la presse grand public prétend à chaque fois que les scientifiques ont encore une fois sauvé le monde. Mais massivement utiliser le genre de rhétorique "on vient de découvrir les ultimes secrets du génome humain grâce à ce projet" relève de la malhonnêteté intellectuelle et gratifie quelque initiative qui n'a pas à recevoir ce tribut puisqu'ENCODE n'a pas prouvé que l' "ADN poubelle" est utile…
Voici que la presse française s'est saisie de la question :
- 'Projet ENCODE : nouvelles révélations sur l'ADN' (Le Point) : "La molécule de l'hérédité se révèle bien plus complexe qu'un simple catalogue de gènes… Des chercheurs ont percé l'un de ses secrets. […] Puis, plus tard, peut-être les scientifiques finiront-ils par percer le mystère des 20 % d'ADN restants, que nous ne nous empresserons pas de taxer d'inutile…"
- 'Vers la fin de l' "ADN poubelle" ' (Le Monde). C'est une édition "abonnés" à laquelle je n'ai pas accès pour y piocher des phrases croustillantes, désolée.
- ' "ADN poubelle" : une fonction biologique sous-estimée' (Maxisciences) : "Dans le cadre du Human Genome Project, les scientifiques ont établi que cet ADN comptait quelque 22.000 gènes. Cette découverte avait alors poussé les chercheurs à momentanément laisser de côté le reste du génome, l'ADN non codant. Jugé à l'époque plutôt inutile, ce dernier avait alors été rebaptisé "ADN poubelle". Mais de plus en plus de recherches semblent démontrer que ce surnom est tout sauf adapté."
- 'L' "ADN poubelle" essentiel à tout être humain' (L’Essentiel, Luxembourg) : "Cet ADN poubelle serait en fait une table de contrôle gigantesque, avec des millions d'interrupteurs régulant l'activité de nos gènes en déterminant si ceux-ci doivent être « allumés » ou « éteints », font savoir mercredi les universités de Genève et de Lausanne, toutes deux impliquées dans le projet international ENCODE."
- Si vous ne me croyez pas ou peinez toujours à comprendre ma douleur, voyez ce doux titre " "L'ADN poubelle" joue un rôle essentiel dans l'activité des gènes" lancé par AFP, repris par Science et Avenir, TV5Monde, Romandie, Libération, La Croix, France24, RTL.be, 20 Minutes, Medisite… et j'en oublie certainement.
- Le meilleur pour la fin… J'ai particulièrement aimé ' Une nouvelle vision du génome bouleverse la biologie ' (Gizmodo) : "Depuis une décennie, les chercheurs supposent que sur 20 000 gènes, seuls 2% sont indispensables à la biologie humaine. Voici donc dix ans d’erreur ?" Et ils terminent : "La communauté scientifique en reste coi, il faut dire que cette nouvelle vision bouleverse la biologie pour de bon. Quoi qu’il en soit c’est un challenge supplémentaire, les biologistes vont être occupés pendant un certain temps !"
J'en reste coite, moi aussi… Les scientifiques n'ont en général pas de prise sur la communication, les "éléments de langage", l'engrenage des relations publiques, et c'est bien dommage. Les articles, les données, l'Encyclopédie, etc, sont des productions superbes. L'hystérie sensationnaliste les cache et nuit autant à la communauté scientifique qu'au grand public, intéressé et curieux d'en apprendre toujours davantage.
Et pour ne pas finir sur un ton défaitiste, je vous invite à parler davantage de ce que vous faites (et ne faites pas) en science 🙂 Oui, discutez de votre travail sur les pages de Bioinfo-Fr !
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L'image des danseuses est disponible en plus grand format sur la page Facebook de Nature. Merci à Yoann M., Guillaume Collet et Aurélien C. pour la relecture 🙂
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