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- Le blog participatif de bioinformatique francophone depuis 2012 -

La bio-informatique au service de l’antibiorésistance

En ces temps hiver­naux, virus et infec­tions bac­té­riennes sont de retour (pour vous jouer un mau­vais tour…). Les cam­pagnes de pré­ven­tion et de soin sont donc de sor­tie, et par­mi elles la célèbre : "Les anti­bio­tiques, c'est pas auto­ma­tique". Si ce slo­gan est bien ren­tré dans la tête des gens, la rai­son pour laquelle il a été édic­té l'est moins. Je vous pro­pose donc d'explorer celle-ci à tra­vers le spectre bio-infor­ma­tique !

1. Au commencement, il n'y avait que des mauvaises habitudes…

Les pre­miers anti­bio­tiques puri­fiés sont appa­rus dans le panel de soin entre les deux guerres mon­diales (avant cela, ils exis­taient sous forme in situ [1] ou ser­vaient juste à sabo­ter les expé­riences du voi­sin de paillasse Fle­ming [2]). La famille des sul­fa­mides a été la pre­mière à être décou­verte, et s'en sont sui­vi d'autres avec actuel­le­ment plus de 10 000 molé­cules comp­ta­bi­li­sées. Cepen­dant, seul 150 envi­ron sont uti­li­sables en thé­ra­peu­tique humaine [3] en rai­son de pro­blème de toxi­ci­té, bio­dis­po­ni­bi­li­té, etc. L'introduction des anti­bio­tiques modernes, conjoin­te­ment à la vac­ci­na­tion (souche d'origine bac­té­rienne) et des normes d'hygiènes, a per­mis de faire chu­ter la mor­ta­li­té due aux infec­tions bac­té­riennes (tant humaines qu'animales). Mais contrai­re­ment à la vac­ci­na­tion, l'efficacité des anti­bio­tiques n'est pas garan­tie sur toutes les souches et sur­tout va tendre à dimi­nuer dans les années à venir.

Les prin­ci­pales familles d'antibiotiques — Par Com­pound inter­est — CC-BY-NC-ND

La rai­son, c'est l'antibiorésistance. Si elle a tou­jours exis­té (les bac­té­ries ne nous ont pas atten­dus pour se faire de la com­pé­ti­tion envi­ron­ne­men­tale à coup d'antibios de leur cru), elle s'est accé­lé­rée avec l'emploi mas­sif par l'humain. De plus en plus de bac­té­ries ont peu à peu été capable de contrer l'efficacité des anti­bio­tiques, et cela notam­ment en rai­son d'une uti­li­sa­tion dom­ma­geable :

  • Uti­li­sa­tion contre des virus *
  • Uti­li­sa­tion contre de mau­vaises souches
  • Arrêt pré­ma­tu­ré des trai­te­ments avant leur terme
  • Uti­li­sa­tion pré­ven­tive, prin­ci­pa­le­ment dans les éle­vages indus­triels d'animaux pour évi­ter la pro­pa­ga­tion d'une souche et donc l'abattage de tous les ani­maux
  • Conta­mi­na­tion d'environnements exté­rieurs par des rési­dus non trai­tés (rivières, terres, etc.) [4]

C'est dans ces 2 pre­miers cas que le slo­gan "Les anti­bio­tiques, c'est pas auto­ma­tique" (créé par la CNAM en 2002 [5]) prend son sens. Le sou­hait était d'alerter la popu­la­tion sur l'antibiorésistance sans la nom­mer, afin que les gens cessent de récla­mer des anti­bio­tiques dans des cas inadap­tés, et que les pra­ti­ciens cessent de les pres­crire par réflexe. Fait amu­sant : en 2018 on a d'ailleurs eu le droit à une mise à jour de ce slo­gan avec "Les anti­bio­tiques sont pré­cieux, uti­li­sons-les mieux" [6] qui tra­duit mieux l'idée d'une uti­li­sa­tion sélec­tive et rai­son­née.

* Hors cas de sur­in­fec­tion bac­té­rienne, et hors cas extrê­me­ment par­ti­cu­liers (ex : Ebo­la [7], Hépa­tite D [8], etc.)

Et si on insiste autant sur le sujet, c'est qu'il y a urgence. De plus en plus de bac­té­ries acquièrent des résis­tances et ce de plus en plus rapi­de­ment. Hors on peine à trou­ver de nou­veaux anti­bio­tiques qui pour­rons contrer ces nou­velles bac­té­ries par­fois mul­ti-résis­tantes.

Chronologie de la découverte des différents antibiotiques (étoiles) et de la première détection d'une souche respectivement résistante à chacun d'entre eux (X noirs) | CC-BY Fig. 1 issue de https://doi.org/10.3389/fimmu.2018.01068
Chro­no­lo­gie de la décou­verte des dif­fé­rents anti­bio­tiques (étoiles) et de la pre­mière détec­tion d'une souche res­pec­ti­ve­ment résis­tante à cha­cun d'entre eux (X noirs) | CC-BY Fig. 1 issue de https://​doi​.org/​1​0​.​3​3​8​9​/​f​i​m​m​u​.​2​0​1​8​.​0​1​068

2. Les principes de la résistance

On dis­tingue une varié­té de méca­nismes déve­lop­pés par les bac­té­ries pour se pro­té­ger du méca­nisme d'action (lui-même varié) des anti­bio­tiques :

  • La pro­duc­tion d'une enzyme inhi­bant l'agent anti­mi­cro­bien
  • La muta­tion et/​ou modi­fi­ca­tion (post-tra­duc­tion­nelle par ex.) de la cible d'un agent anti­mi­cro­bien pour dimi­nuer sa fixa­tion
  • La réduc­tion de la per­méa­bi­li­té mem­bra­naire
  • L'efflux (pom­page vers l'extérieur de la mem­brane cel­lu­laire) de l'agent anti­mi­cro­bien
  • La réduc­tion de l'impact de l'agent anti­mi­cro­bien sur le méta­bo­lisme cel­lu­laire (par modi­fi­ca­tion d'une voie méta­bo­lique ou la sur­pro­duc­tion du com­po­sé impac­té par l'agent anti­mi­cro­bien)

Si cer­taines bac­té­ries en pos­sèdent de façon native, la plu­part d'entre elles l'acquièrent au cours du temps et à force de contact avec l'antibiotique et son agent anti­mi­cro­bien. On dis­tingue deux groupes de pro­ces­sus d'acquisition :

  • Le trans­fert ver­ti­cal : muta­tion du chro­mo­some ou d'un/de plasmide(s) (spon­ta­né­ment ou par agent muta­gène), puis sélec­tion de la résis­tance
  • Le trans­fert hori­zon­tal : échange de gènes entre souches d'une même espèce, voire entre espèces (par conju­gai­son, trans­duc­tion ou trans­for­ma­tion)

Note : Si l'acquisition de résis­tance anti­bio­tique par trans­fert hori­zon­tal reste rare pro­por­tion­nel­le­ment au trans­fert ver­ti­cal, elle n'en reste pas moins suf­fi­sam­ment fré­quent pour pro­pa­ger rapi­de­ment une résis­tance mature [9].

Un petit rap­pel sur le trans­fert hori­zon­tal de gènes

Transfert de gènes horizontal : transformation, transduction, et conjugaison. | CC-BY-NC Gwenaëlle
Sché­ma­ti­sa­tion des dif­fé­rents méca­nismes de trans­fert de gènes hori­zon­tal. | CC-BY-NC Gwe­naëlle


Le trans­fert hori­zon­tal de gènes cor­res­pond à l'ensemble des méca­nismes par les­quels une bac­té­rie intègre du maté­riel géné­tique pro­ve­nant d'une autre bac­té­rie sans en être le des­cen­dant (ce qui cor­res­pon­drait à du trans­fert ver­ti­cal).

3. Et la bioinfo dans tout ça ?

La démo­cra­ti­sa­tion du séquen­çage (non, je ne remet­trai pas ce gra­phique que tout le monde connaît) a per­mis de séquen­cer à tout-va ce qui nous passe sous la main. Le séquen­çage 16S, le whole-genome-NGS, et le mNGS (sché­ma com­pa­ra­tif des tech­niques) en ont pro­fi­té et se sont ain­si invi­tés dans bon nombre d'équipes tra­vaillant sur des mala­dies infec­tieuses, avec dif­fé­rentes pro­blé­ma­tiques explo­rées.

L'adaptation du traitement antibiotique à la souche

Dans le cas le plus clas­sique d'infection bac­té­rienne néces­si­tant un trai­te­ment anti­bio­tique, les méde­cins pos­sèdent des trai­te­ments stan­dar­di­sés (selon le patient, les symp­tômes, situa­tion épi­dé­mio­lo­gique des mala­dies infec­tieuses, etc.). On les dit de "pre­mière inten­tion" et ils fonc­tionnent la plu­part du temps [10]. Cepen­dant il arrive qu'ils ne soient pas ou peu effi­caces en rai­son d'une mau­vaise sup­po­si­tion de la souche et/​ou d'une souche résis­tante. Afin d'adapter l'antibiotique, il était donc aupa­ra­vant néces­saire de faire effec­tuer une culture bac­té­rienne et des ana­lyses telles qu'un anti­bio­gramme, une gale­rie d'identification bio­chi­mique, etc. Cette démarche néces­si­tant une culture bac­té­rienne (mini­mum 24/​48h) + un temps d'analyse cer­tain, elle obli­geait au mieux à faire reve­nir le patient quelques jours après pour la pres­crip­tion de l'antibiotique adap­té, au pire à faire pres­crire des anti­bio­tiques dits de "seconde inten­tion". Cette der­nière opé­ra­tion réser­vée aux infec­tions sévères (donc le plus sou­vent prises en charge à l'hôpital) pré­sente tou­te­fois le risque d'avoir encore une fois un anti­bio­tique inef­fi­cace (engen­drant poten­tiel­le­ment la mort du patient) et le risque de la créa­tion d'une nou­velle souche mul­ti­ré­sis­tante.

Face à ces contraintes de temps par­fois trop impor­tantes au vu de l'état de san­té d'un patient, le séquen­çage et l'analyse d'échantillons via des pipe­lines stan­dar­di­sés sont une solu­tion [11]. On retrouve ain­si les tech­no­lo­gies MinION et MiSeq ain­si que leurs pipe­lines res­pec­tifs, Meta­PORE [12] et SURPI [13], mais aus­si des outils indé­pen­dants tels que Kra­ken [14] ou Taxo­no­mer [15].

Work­flow de séquen­çage méta­gé­no­mique pour le nano­pore MinION com­pa­ré à celui du Miseq Illu­mi­na. a) Work­flow glo­bal, b) Étapes de l'analyse en temps réel du pipe­line Meta­PORE.  | CC-BY Fig. 1 issue de https://doi.org/10.1186/s13073-015‑0220‑9

Mais fina­le­ment, tous reposent approxi­ma­ti­ve­ment sur le même enchaî­ne­ment :

  1. Une par­tie wet lab
    1. Extrac­tion des acides nucléiques, ADN ou ARN (dans ce cas on aura en plus les étapes menant jusqu'à l'ADNc)
    2. Pré­pa­ra­tion des librai­ries de séquen­çage
    3. Accroche des amorces
    4. Séquen­çage
  2. Une par­tie dry lab
    1. Détec­tion des reads (frag­ments)
    2. Fil­trage des reads humains
    3. Ali­gne­ment sur une base de don­nées de réfé­rence
    4. Clas­si­fi­ca­tion taxo­no­mique
    5. Iden­ti­fi­ca­tion micro­bienne

Note : Si vous sou­hai­tez avec une review com­plète (dont je ne peux mal­heu­reu­se­ment pas vous par­ta­ger la superbe table 1 ici en rai­son de sa licence res­tric­tive), je vous sug­gère for­te­ment la lec­ture de Cli­ni­cal Meta­ge­no­mic Next-Gene­ra­tion Sequen­cing for Patho­gen Detec­tion

Cepen­dant il faut contras­ter l'emploi de ces tech­niques avec la réa­li­té. En effet, la limite de détec­tion selon la concen­tra­tion d'une souche, l’interférence de sub­stances molé­cu­laires lors de l'extraction des acides nucléiques, la conta­mi­na­tion, la dis­po­ni­bi­li­té dans les fluides cor­po­rels, etc. sont autant de para­mètres à prendre en compte pour la carac­té­ri­sa­tion de souches patho­gènes pour un diag­nos­tic.

Identification et prédiction des résistances

En com­plé­men­ta­ri­té avec la pro­blé­ma­tique pré­cé­dente, la créa­tion de bases de don­nées de réfé­rence sur les gènes de résis­tance, et sur­tout leur mise à jour constante face à l’évolution rapide de ceux-ci, repré­sente un véri­table chal­lenge. On retrouve ain­si deux grands types de bases de don­nées (de façon sem­blable à celles des fac­teurs de trans­crip­tion) : celles curées manuel­le­ment par des spé­cia­listes et/​ou vali­dées expé­ri­men­ta­le­ment, et celles avec des résis­tances obte­nues selon des pré­dic­tions.

Vue d'ensemble non exhaus­tive des sources de don­nées dis­po­nibles sur les gènes de résis­tance ciblant dif­fé­rentes classes d'antibiotiques. Illus­tra­tion pas à l'échelle. AR = anti­bio­tic resis­tance | Fig. 1 issue de https://doi.org/10.1128/JCM.02717–15 | Cour­te­sy of Jour­nal of Cli­ni­cal Micro­bio­lo­gy

La pré­dic­tion des gènes liés à l'antibiorésistance se base sur plu­sieurs tech­niques :

  • La com­pa­rai­son de génomes de souches ances­trales et évo­luées afin de défi­nir les motifs de chan­ge­ments géné­tiques opé­rant au cours du temps
  • L'étude de l'évolution paral­lèle de souches pour dis­tin­guer les muta­tions adap­ta­tives de muta­tion neutres ou délé­tères.
  • L'étude phy­lo­gé­nique pour com­prendre  la sélec­tion et la trans­mis­sion de gènes de résis­tance
  • Le cal­cul de l'impact phé­no­ty­pique des muta­tions avec notam­ment les coûts adap­ta­tifs (éner­gie dépen­sée pour la pro­duc­tion de la résis­tance contre sur­vie)
  • etc. [16]

Les pré­dic­tions font tou­te­fois preuve de limi­ta­tions sur les types de résis­tance qu'elles peuvent détec­ter ain­si que sur la fia­bi­li­té de qua­li­fi­ca­tion de gène de résis­tance quand ceux-ci sont simul­ta­né­ment des house kee­ping genes (gènes domes­tique) [17].

Conclusion

Les tech­no­lo­gies de séquen­çage et pipe­lines d'analyse font à pré­sent par­tie de la trousse d'outils à dis­po­si­tion des méde­cins, des épi­dé­mio­lo­gistes et des cher­cheurs en micro­bio­lo­gie bac­té­rienne. Si dans le cas des pre­miers leur uti­li­sa­tion est ponc­tuelle pour l'instant (en rai­son du rap­port coût/​bénéfice), ils sont déjà bien exploi­tés dans le cas des deux der­niers. Avec l'évolution et l'engouement pour la méta­gé­no­mique actuelle, on attend de voir les pro­chaines appli­ca­tions qui pour­ront ser­vir l'étude de l'antibiorésistance.

Je vous laisse avec ce comic d'xkcd très à pro­pos.

Degree off | CC-BY-NC xkcd

Mer­ci à Mathu­rin, Yo M, et Guillaume Devailly (auteur de la sug­ges­tion du xkcd) pour leur relec­ture sur cet article !

Sources

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